La Nuit de Noël de Rimski-Korsakov redécouverte à l'Oper Frankfurt

Xl_la_nuit_de_no_l___l_oper_frankfurt © Monika Ritterhaus

Au lendemain du rare titre que constitue Maskarade de Carl Nielzen, c’est un ouvrage encore plus rare que l’Opéra de Francfort mettait à son affiche : La Nuit de Noël de Nikolaï Rimski-Korsakov, un opéra en quatre actes créé en décembre 1895 au fameux Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. On y découvre avec plaisir la vie colorée de la « petite Russie », avec ses croyances et ses superstitions, combinées avec la très religieuse veillée de Noël. Au cours de cette nuit dans un petit village ukrainien, où tout le monde s’emmêle, du riche fermier Tchoub à la sorcière Solokha, bien des événements vont se produire avant que le forgeron Vakoula (fils de la Sorcière) ne puisse épouser la belle Oxana (fille de Tchoub) : le Diable en personne entre en scène au travers de situations scabreuses (il est l’un des amants de Solokha… aux côtés du Maire et du Sacristain !). Ces quelques rapides données fixent le style de l’opéra de Rimski-Korsakov, traité de façon pittoresque avec un lyrisme toujours débordant : on trouve dans la partition parmi les thèmes les plus longs et les plus lumineux du maître russe. Œuvre enjouée, bon enfant, baignée de fantastique, mais complexe musicalement, La Nuit de Noël constitue l’un des maillons de cette chaîne qui commence avec La Nuit de mai (1880), une œuvre inspirée du même recueil de contes de Nikolaï Gogol d’où sera tirée, quinze ans plus tard, La Nuit de Noël, en passant par La Fille de neige (dont on se rappelle l’admirable production parisienne il y a quatre ans à l’Opéra Bastille) et se poursuit jusqu’au Coq d’or (1909), son dernier opus lyrique.

Après son récent triomphe en Gilda à l’Opéra de Montpellier, c’est donc à Francfort que l’on retrouve la dernière Lauréate du Concours international de chant de Clermont-Ferrand, la jeune soprano russe Julia Muzychenko (Oxana) qui ajoute une voix d’une infinie délicatesse à son physique de camée. Après les airs coloratures du I, dont elle se joue crânement, elle affronte ensuite avec beaucoup de panache l’air plus dramatique qui l’attend dans le dernier acte, alors qu’elle croit son amant mort. On languit déjà de la retrouver dans le rôle-titre de La Sonnambula en février prochain à l’Opéra Grand Avignon. Son compatriote Georgy Vasiliev campe un Vakoula au ténor aussi vaillant que superbement projeté, et se lance dans un concours d’aigus alors même qu’il est suspendu dans les airs. Le rôle de Tchoub nous permet d’admirer et goûter une nouvelle fois au grain somptueux de la voix de la basse russe Alexey Tikhomirov (entendu en début de d'année dans le rôle de Pimène dans Boris Godounov à Monte-Carlo), mais dont on apprécie également ici le jeu comique. La mezzo albanaise Enkelejda Shkoza offre à Solokha son magnifique registre grave et sa prestance scénique pleine d’humour, notamment quand elle doit mettre, un par un, ses différents amants dans des sacs à charbon pour que l’un ne soit pas découvert par l’autre. C’est par le registre aigu que brille en revanche le Diable d'Andreï Popov, qui inspire cependant plus de pitié que de terreur tant il est soumis à son amante, et accepte toutes les revendications de son fils quand ce dernier se signe devant lui… après l’avoir extirpé d’un des sacs à charbon ! Les comprimari s’avèrent tous excellents chanteurs et comédiens, avec une mention pour le Diacre du ténor Peter Marsh et le Maire du baryton Sebastian Geyer.

L’on pouvait craindre que le travail du trublion germanique Christof Loy à qui Bernd Loeb (le directeur général de l’Opéra) a confié cette nouvelle mise en scène, ne vienne gâcher la fête, mais que nenni ! Il respecte ici, une fois n’est pas coutume, le livret et s’attache à en rendre toute la féerie et la fantasmagorie. Avec l’aide de son décorateur Johannes Leiacker, il a imaginé un ciel constellé d’étoiles d’où émerge également une immense lune – car une des scènes-clés de l’ouvrage montre le Diable et la Sorcière s’envolant sur un balai dans les airs pour aller voler la lune et éteindre les étoiles afin que les humains sur terre ne retrouvent plus leur chemin ! La magie se retrouve dans les costumes de toute beauté conçus par Ursula Rezenbrink, qui habille certes les habitants du village en vêtements usagés post-soviétiques, mais n'a pas économisé, en revanche, sur les soies colorées pour les robes rococo ou les crinolines, sur le tulle et les dentelles pour les chemises à jabots, ainsi que sur les perruques de toutes sortes, lors de l’arrivée du héros dans la palais de la Tsarine à qui il vient réclamer une paire de chaussures en fils d’or... car c’est le désir le plus ardent de la coquette Oxana !

Enfin, la soirée est menée tambour battant par Sebastian Weigle, le percutant directeur musical de l’Oper Frankfurt, soucieux tout au long de la soirée de rendre justice à l’éclatante parure orchestrale imaginée par Rimski, les épisodes symphoniques ou choraux étant ici aussi nombreux que très importants. L’admirable chœur maison, remarquablement préparé par Tilman Michael, contribue largement à la réussite de la soirée. Et il s'avère donc bien dommage que seulement 700 spectateurs aient pu assister au spectacle (contre les 1400 possibles), mais les théâtres du Land de Hesse imposent désormais des demi-jauges à cause de la situation sanitaire.

Emmanuel Andrieu

La Nuit de Noël de Nikolaï Rimski-Korsakov à l’Oper Frankfurt, jusqu’au 8 janvier 2022

Crédit photographique © Monika Ritterhaus

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