Heather Engebretson, fascinante Salomé au Theater Basel

Xl_heather_engebretson_dans_salom__de__richard_strauss_au_theater_basel © Thomas Aurin

Après les nombreux débats suscités par la mise en scène de Salomé selon l'Américaine Lydia Steier récemment donnée à l'Opéra Bastille, c’est en revanche au plus haut point enthousiaste que nous sommes sortis de celle imaginée par l’Allemand Herbert Fritsch pour le Theater Basel, qui court depuis le 2 octobre et jusqu’au 13 décembre pour une série de onze représentations. Cette coproduction avec le Théâtre de Lucerne et le National Theater de Mannheim est l’une des plus étranges et fascinantes productions du chef d’œuvre de Richard Strauss à laquelle nous ayons assisté.

Le rideau se lève sur une scénographie unique et spartiate, conçue par Herbert Fritsch lui-même, et composée d’un cyclorama bleuté sur lequel est projetée une immense lune blanche (qui se teintera de rouge au moment de la décapitation de Jokanaan), alors qu’en contre-bas deux grands trônes dorés aux formats bizarroïdes sont les seuls éléments de décor d’un plateau entièrement nu… si ce n’est la tête de Jokanaan qui émerge de la surface du plateau ! Il ne sortira de son inconfortable position que pour son duo avec Salomé, et bien évidemment après son exécution, pendant laquelle Salomé doit arracher littéralement la tête du prophète qui a du mal à se détacher du corps. Cette dernière bénéficie de la toute petite taille de son interprète, la soprano étasunienne Heather Engebretson, ici grimée en poupée Barbie à la robe couleur rose bonbon, coupe alla Louise Brooks et pieds nus, et qui incarne à la perfection la femme-enfant perverse du livret. Sa Danse des sept voiles s’avère un des moments les plus forts de la soirée, où la souplesse de l’actrice n’a d’égale que la perfection de son jeu scénique : elle se livre à moult sauts et contorsions, continuellement hyper-active, tout en multipliant les mimiques de petite fille boudeuse qui s’ennuie, ne sachant plus quoi inventer comme nouveau déhanchement pour satisfaire le regard libidineux d’Hérode. Cette aisance scénique et cette aura qu’elle dégage n’a que peu d’équivalent sur scène aujourd’hui, aux côtés d’Asmik Grigorian et Ausrine Stundyte, et le spectacle vaut le déplacement juste pour admirer cette bête de scène qui fascine de bout en bout ! De leur côté, Hérode et Hérodiade sont également caricaturés, lui en personnage concupiscent et efféminé, couvert de verroterie, et elle en femme hystérique et vicieuse, formant ainsi un couple de parents toxiques, totalement névrosés et décadents.

Vocalement, le compte y est aussi, d’autant que la réduction orchestrale retenue ici (écrite par Strauss) n’oblige pas les chanteurs à passer au-dessus d’un rideau sonore infranchissable. Et c’est d’abord chose inouïe que la projection fabuleuse dont ce petit bout de femme de quarante-cinq kilos à peine est capable, fusant par-delà les climax de la partition dans son air final. Heather Engebretson impressionne également par la sûreté dont elle fait preuve, l’insolence et la souplesse d’un instrument mis au service d’un chant expressif et nuancé, et un engagement dramatique de tous les instants, s’il était besoin de revenir encore dessus !

De son côté, le baryton américain Jason Cox s’empare avec force de Jokanaan, auquel il insuffle une tension physique saisissante lors de son duo avec la Princesse de Judé, laissant entrevoir un corps d’athlète que la mise en scène cache le plus clair du temps. La mezzo allemande Jasmin Etezadzadeh a les moyens requis pour Hérodiade, et le rôle n’appelle pas plus de raffinement que ce qu’elle peut offrir, tandis que Peter Tantsits incarne un Hérode vitupérant, forgé dans un bronze à la santé insolente. Le jeune ténor français Ronan Caillet, membre de l'Opera Studio maison, est une petite révélation dans le rôle de Naraboth, qu’il aborde avec un art du chant tout mozartien, tandis que sa collègue ukrainienne Nataliia Kukhar ne laisse pas dans l’ombre le personnage épisodique du Page, auquel elle donne un relief inhabituel grâce à sa voix particulièrement sombre et puissante, aux aigus dardés comme des flèches. Enfin, les différents chanteurs incarnant Juifs, Nazaréens et Soldats sont dignes des meilleures scènes lyriques.

Malgré son effectif réduit, l’Orchestre Symphonique de Bâle fait grand effet, et cela doit être mis sur le compte du chef allemand Clemens Heil, qui sollicite et impose une implication entière à chacun des pupitres, dans un souci constant de cohérence et d’une authentique recherche de perfection artistique. Ce n’est pas le moindre bonheur de la soirée, éprouvé par un public malheureusement très clairsemé mais qui n’a pas boudé son plaisir (nous non plus !), et fait une véritable fête aux talentueux artistes réunis à Bâle par Benedikt von Peter, l'heureux directeur général et artistique de la maison suisse !

Emmanuel Andrieu

Salomé de Richard Strauss au Theater Basel, jusqu’au 13 décembre 2022

Crédit photographique © Thomas Aurin

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