Emiliano Gonzalez-Toro dirige (et interprète) L'Orfeo de Monteverdi au Victoria Hall de Genève

Xl_l_orfeo_au_victoria_hall © Emmanuel Andrieu

Deux mois après leur fantastique exécution du Retour d’Ulysse en sa patrie, c’est avec bonheur que l’on retrouve, dans ce même Victoria Hall de Genève, Emiliano Gonzalez-Toro et son Ensemble I Gemelli, cette fois pour le premier opéra du compositeur mantouan (et le premier tout court de l’histoire du genre lyrique) : L’Orfeo ! Et comme pour le précédent opus, c’est à la chanteuse Mathilde Etienne (compagne du chef/ténor à la ville) qu’échoit la mise en espace de l’ouvrage, un travail aussi sobre qu’intelligent, qui fait place à l’émotion brute des rapports humains entre les différents protagonistes, dont les affects passent par le truchement des regards et des gestes, sans nul autre artifice de décors ou de costumes qui ne sont franchement pas nécessaires dans cet ouvrage. On aime la façon dont le chœur que constitue la réunion des solistes se forme ou se désagrège de manière signifiante en fonction de l’action, et d’une manière si naturelle que tous les déplacements coulent de source, et s’inscrivent dans les circonvolutions de la musique savante de Monteverdi (ils évoluent ainsi régulièrement au milieu des instrumentistes...) : tout semble aller ici de soi. En fait, l’impression donnée et ressentie est celle d'artistes qui donnent la vie, devant un public, à quelque chose d’inédit... un opéra !

Dans le rôle-titre, on retrouve le ténor genevois Emiliano Gonzalez-Toro, qui nous avait accordé une interview à l’occasion de son Ulisse, en décembre dernier. Avec son timbre délicat et expressif, il incarne le plus touchant des Orphée, avec une mélancolie et un héroïsme brillamment imbriqués, et les mélismes de son grand air du III ne font pas l’économie (comme c’est souvent le cas avec cette partie) de la virtuosité di golla et du trillo rabattuto que l’on est en droit d’attendre ici. La soirée doit également beaucoup à la jeune (et rayonnante) soprano espagnole Alicia Amo qui, dans le double rôle d’Euridice et de La Musica, module dès ses premières notes avec une subtilité et une variété de couleurs exceptionnelles, en imposant par ailleurs son timbre fruité, son élocution parfaite, et son charme irrésistible.
La basse française Nicolas Brooymans fait forte impression en Caronte, personnage dont il donne toute la mesure grâce à la puissance et la profondeur de son timbre sombre. De son côté Mathilde Etienne tient le rôle de Proserpine de séduisante manière, et l’on comprend aisément qu’elle parvienne à ses fins en convaincant Plutone de laisser sa chance à l’amour, personnage incarné ce soir par un Frédéric Caton qui possède toute la noirceur vocale inquiétante qui sied à ce personnage. Natalie Perez est un Messaggera (également Speranza) d’une éloquence pleine de retenue tandis que Maud Gnidzaz campe une bien touchante Ninfa. Quant au baryton iitalien Fulvio Bettini, plus sobre ce soir qu’avec son étourdissant Irus dans Ulisse, il s'avère être un excellent Apollo, tandis que la production se paie enfin le luxe de trois Pastori d'exception : Mathias Vidal, Juan Sancho et Pauline Sabatier !

Côté musical, après la célèbre « Toccata » de sacqueboutes donnée en ouverture, la soirée procurera une bienfaisante impression de fraîcheur la soirée durant. Préparé en amont par Gonzalez-Toro, son travail est ici relayé par Violaine Cochard - placée au centre de la scène avec son claviorganum - qui donne vie à l’ensemble. D'une impeccable mise en place et d'une grande sûreté d'exécution, I Gemelli enchantent les oreilles : on admire, en particulier, le soyeux des cordes, la rutilence des cuivres... et l'exceptionnelle virtuosité de Marie-Domitille Murez à la harpe !

Emmanuel Andrieu

L’Orfeo de Claudio Monteverdi au Victoria Hall de Genève, le 23 janvier 2022

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

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