Electrisante Cecilia Bartoli dans Il Turco in Italia de Rossini à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_il_turco_in_italia_avec_cecilia_bartoli___monte-carlo © Alain Hanel

Incroyable Cecilia Bartoli ! Il y a 25 ans, elle enregistrait une version de référence du Turco in Italia sous la baguette de Riccardo Chailly. Aujourd'hui, la diva romaine reprend scéniquement l’étonnant ouvrage de Gioacchino Rossini avec une flamme vocale inouïe, à l’Opéra de Monte Carlo dont elle prendra les rênes dans tout juste un an. Même si tous ses partenaires se montrent exemplaires tant vocalement que scéniquement, le public monégasque n’a d’yeux et d’oreilles que pour elle – à commencer par SAS le Prince Albert II et la Princesse Caroline nichés dans leur loge princière. La Bartoli électrise dans le rôle de Fiorilla avec ses mimiques désopilantes de femme légère et volage. La voix n’a pas bougé depuis trente ans, garde le même magnétisme et la même ébouriffante virtuosité qui culminent dans sa dernière aria « Squallida veste e bruna », et qui lui vaut un indescriptible triomphe de la part d’une audience médusée. 

Difficile d’exister aux côtés d’une telle artiste. Pourtant la basse roumaine Adrian Sampetrean (pour Ildar Abdrazakov initialement annoncé) ne s’en laisse pas compter, vocalement du moins – la volubilité comique n’est peut-être pas la principale qualité de ce chanteur habitué aux rôles graves et autoritaires comme Philippe II. On fond en revanche devant la beauté, la profondeur et le tranchant de son timbre. La fanfaronnade parvient cependant à passer dans la voix, comme dans le duo comique « D’un bel uso di Turchia ». Grand habitué de la scène monégasque, le génial baryton sicilien Nicola Alaimo est dans un registre qu’il connaît sur le bout des doigts et son incarnation de Don Geronio est d’une drôlerie absolue. La voix n’a par ailleurs pas de peine à soutenir l’implacable débit rossinien, le fameux chant sillabato dont il est le meilleur ambassadeur aujourd’hui. D’une prestance scénique affirmée et d’une voix épanouie, Giovanni Romeo n’a de son côté aucun mal à camper le poète manipulateur Prosdocimo. Virtuose émérite, le ténor américain Barry Banks décoche ses vocalises comme autant de flèches acérées (percutant « Tu seconda il mio disegno »). Le fait est d’autant plus remarquable que la mise en scène cantonne Narciso dans un rôle d’idiot, coiffé d’une crête blonde hideuse. Zaida et Albazar, tenus par José Maria Lo Monaco et David Astorga, s’illustrent avec beaucoup de présence, avec des timbres épanouis dans leur registre respectif. D’une verve remarquable, complice et fluide dans leurs interventions, le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, toujours magnifiquement préparé par Stefano Visconti, n’appelle que des louanges.

Jean-Louis Grinda s’offre la première mise en scène de sa dernière saison 2022 (Cecilia Bartoli dévoilera prochainement la sienne qui débutera en janvier 2023) et la clôturera avec une nouvelle production de sa main de la Damnation de Faust en décembre 2022. Son travail ici balaie tous les poncifs qui reviennent chaque fois qu’il est question d’Il Turco in Italia, pour nous entraîner dans le tourbillon d’un véritable opéra bouffe. Le poète Prosdocimo n’est pas ici l’intellectuel de service, regardant l’action par le petit bout de la lorgnette. C’est un personnage à part entière, pris dans les remous d’une intrigue qu’il a imaginée et dont il se régale. La scène initiale donne le ton : pendant que résonne l’Ouverture, l'on peut voir un film en noir et blanc signé par Gabriel Grinda et Julien Soulier. Le couple mal assorti que forment Geronio/Alaimo et Fiorilla/Bartoli s’y écharpe dans une inénarrable scène de ménage, les assiettes volent comme des soucoupes volantes ! D’autres créations vidéographiques émailleront le spectacle, notamment lors de la scène finale qui montre, cette fois en couleur, l’éruption du volcan Etna, tandis que des feux d’artifice en rajoutent dans le côté festif et coloré. La scénographie du fidèle Rudy Sabounghy, soutenue par les lumières toujours savantes de Laurent Castaingt, représente les coulisses d’un théâtre d’où peut émerger le bateau de Sélim voguant sur des flots bleus simplement symbolisés par de grands draps azurés, grâce à tout un système de rideaux et de toiles peintes. Les somptueux costumes de Jorge Jara sont tous un vrai enchantement pour la rétine, et l’on se délecte à en admirer tous les détails rutilants et chamarrés. L’on retiendra aussi l’excellente idée de la passerelle qui passe derrière la fosse et permet aux chanteurs, à de nombreux moments-clés, d’intervenir au plus près du public, pour d'intenses impressions de communions artistiques. 

Enfin, à la tête des Musiciens du Prince-Monaco, Gianluca Capuano offre une version trépidante, balayant tout sur son passage. Comme toujours avec les spectacles réussis, la soirée laisse le spectateur bluffé – dont les deux altesses monégasques applaudissant à tout rompre debout, dès la tombée du rideau de scène –, tout en donnant l’impression d’avoir redécouvert un chef d’œuvre. Quelle soirée !

Emmanuel Andrieu

Il Turco in Italia de Gioacchino Rossini à l’Opéra de Monte-Carlo, le 27 janvier 2022

Crédit photographique © Alain Hanel

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