Doublé bartokien (gagnant) au Théâtre Royal de la Monnaie

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C’est une riche idée qu’a eu le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles de coupler, dans une soirée Bela Bartok, Le Château de Barbe-Bleue (écrit en 1911) et Le Mandarin merveilleux (créé en 1926). Aussi éloigné soit-il dans le temps par rapport à l’opéra de jeunesse du compositeur hongrois, ce ballet n’en incarne pas moins une sensibilisation aiguë à un univers sonore unique dans la musique du XXe siècle.

Du Château de Barbe-Bleue, on retiendra d’abord la magnifique conjonction de deux artistes totalement habités par la symbolique du poète Bela Balazs, très éloignée de celle de Charles Perrault. Et si le drame lyrique de Bartok prend ce soir toute sa dimension, c’est grâce à deux interprètes d’exception : la basse croate Ante Jerkunica et la mezzo française Nora Gubisch. Tous deux révèlent ici la profondeur de leur musicalité, comme l’étendue de leurs ressources dramatiques. Engoncé jusqu’à la dernière scène dans un fauteuil roulant, Jerkunica laisse percevoir la blessure secrète et la fragilité du héros venu du fond des âges : son château est une prison dont il cherche à s’échapper. Comme la chèvre de Monsieur Seguin, la Judith magnifiquement incarnée par Gubisch ne cède en rien à ces exigences folles. Dans ce grandiose combat vocal, l’équilibre est parfait entre les deux artistes.

Après une production de La Petite renarde rusée particulièrement plébiscitée par le public et la critique la saison passée in loco, le metteur en scène-plasticien belge Christophe Coppens récidive et signe les deux ouvrages qui sont reliés par un même (impressionnant) dispositif scénique conçu par Coppens himself : une fascinante structure de métal et de verre qui forme neuf alvéoles, baignées dans les lumières sanguinolentes de Peter van Praet. On retrouve le même décor dans le ballet-pantomime, mais éclaboussé cette fois par des lumières vives et kaléidoscopiques. Les Trois voleurs sont ici remplacés par trois prostituées et toute l’action se passe dans un bordel, où tout est outré et outrancier, telle cette scène où le Proxénète extirpe d’un vagin géant une multitude de poupées gonflables. La dimension métaphysique de l’œuvre passe ici un peu à la trappe, mais on s’amuse beaucoup, sans que la chorégraphie ne tire (trop) la musique vers le bas...

Placé sous la direction sûre et ferme de son directeur musical Alain Altinoglu, l’Orchestre symphonique de La Monnaie remplit sa fonction et même au-delà. On admire la beauté analytique et synthétique du son dans ces deux partitions délicates empruntant à de multiples sources (gammes, accords insolites, instruments relativement peu habituels), ainsi que le suivi instrumental des actions scéniques.

Emmanuel Andrieu

Le Château de Barbe-Bleue et Le Mandarin merveilleux au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles (juin 2018)

Crédit photographique © Van Der Burght

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