Don Carlo au Festival d'été de Baden-baden

Xl_don_carlo___n © Natasha Razina

Du 3 au 6 juillet, fidèle à ses habitudes, Valery Gergiev et les forces vives du Mariinsky (Solistes, Choeur et Orchestre) ont pris pendant quelques jours leurs quartiers d'été au Festspielhaus de Baden-Baden, comme l'a fait pendant tout le XIXe siècle l'aristocratie russe qui y venait prendre les eaux. Quand – en 1998 – le Festspielhaus a été inauguré (grâce à une restructuration de l'ancienne gare de la ville), c'est le « Tsar de la baguette » qui eut le droit d'y diriger le tout premier concert, suite à la mort de Georg Solti à qui devait revenir cet honneur. Au cours des quinze dernières années, le Festspielhaus a ainsi été la vitrine occidentale de toutes les productions majeures du Théâtre Mariinsky, spectacles à moindre coût pour l'institution allemande qui, rappelons-le, est le seul théâtre allemand d'importance à ne bénéficier d'aucun subside de l'Etat. C'est bien évidement le grand répertoire russe que Valery Gergiev a importé à Baden-Baden (Boris Godounov, Mazzepa, L'Ange de feu, Le Joueur etc.), mais pas que, comme en attestent des productions du répertoire allemand (Salomé, Lohengrin) ou italien (Traviata, Otello, Macbeth). Cette année, c'est ce dernier qui est mis à l'honneur, toujours avec un opéra de Verdi : Don Carlo, dans sa version italienne en cinq actes, dite de Modène (1886).

La distribution vocale souffle le chaud et le froid. Anna Markarova – à qui était dévolu le rôle d'Elisabetta - a dû quitter la scène en plein milieu du deuxième acte, suite à une indisposition, et c'est sa consoeur Viktoria Yastrebova (qui avait assuré le rôle deux jours plus tôt) qui l'a remplacée. On avouera d'emblée n'avoir pas perdu au change – au delà de l'indisposition – la voix de la seconde s'avérant aussi belle et lumineuse que celle de la première était lourde et disgracieuse ! Yastrebova possède en effet – en plus d'un beau timbre délicat - un parfait legato, qui lui permet d'arriver à l'émotion dans les adieux à la Comtesse d'Aremberg, et surtout dans un « Tu che la vanità » d'un remarquable phrasé.

Son Carlo est le ténor coréen Yonghoon Lee (seul non russophone de la distribution) qui nous avait déçu dans La Wally genevoise le mois dernier, sans nous convaincre guère mieux dans le rôle-titre de Don Carlo ce soir : certes il affronte crânement les redoutables éccueils de sa partie, mais sans l'italianità, ni le legato, ni la séduction dans le timbre, nécessaires ici. De son côté, Ekaterina Gubanova conçoit Eboli comme un avatar d'Ulrica, voire d'Azucena. La voix est pulpeuse, chaleureuse et la vocalise, dégagée, ne manque pas de panache. Elle fait donc un malheur auprès du public avec ses deux airs, sans pour autant parvenir à rendre justice à l'ambiguïté de son personnage, qu'elle conçoit comme une furie sensuelle qui ne maîtrise plus ses instincts pulsionnels.

Evgeny Nikitin incarne un Philippe II jeune d'allure et extrêmement musical, auquel manquent peut-être encore la maturité dans l'interprétation et la générosité dans l'accent requis dans cet emploi d'une rare complexité, tandis que Mikhaïl Petrenko possède le creux et l'autorité que l'on attend du Grand Inquisiteur. Quant au Posa de Vladzislav Sulimski, il ne peut se targuer que d'une voix particulièrement sonore, mais avec une émission et un accent bien trop slaves – en plus d'un style d'un vérisme outrancier - pour convaincre dans le rôle. Les comprimari remplissent honorablement leur partie, avec une mention particulière pour La voix du ciel – aérienne et déliée – de la soprano Anastasia Kalagina.

Du côté du plateau, il n'y a pas grand chose à signaler : dans la simple mise en place de Giorgio Barberio Corsetti – production qu'il a initialement signée pour le Mariinsky en 2012 -, les personnages se côtoient sans que de réels échanges aient lieu. Ils sont ainsi (trop) souvent postés face au public, au lieu de se regarder, tandis que les choeurs sont parfois en « rang d'oignons » : le lecteur comprendra aisément qu'un tel contexte n'est guère propice à créer l'émotion. On n'est finalement pas très loin du concert en costumes – certes somptueux (signés Christian Taraborrelli et Angela Buscemi) – tandis que la scénographie, imaginée par Corsetti lui même, fait vraiment « cheap », se bornant quasiment à une morne façade d'immeuble sur laquelle sont projetées des images anecdotiques ou redondantes à l'action...

C'est un tout autre bonheur que distille la baguette de Gergiev, qu'il est toujours aussi fascinant de voir diriger. Avec une incroyable économie de gestes – et en marquant très peu la mesure -, le chef russe parvient à obtenir de sa formidable phalange une palette de couleurs, de dynamiques et de textures proprement inouïes. Il dynamise la soirée en dosant savamment les progressions et les contrastes de la partition, des pianissimi les plus impalpables aux fortissimi les plus tonitruants, soutenu par un Orchestre du Mariinsky en état de grâce, répondant parfaitement à la plus subtile de ses injonctions. 

Emmanuel Andrieu

Don Carlo au Festspielhaus de Baden-Baden (les 3 et 5 juillet 2014)

Crédit photographique © Natasha Razina

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