Damiano Michieletto signe un ingénieux Tryptique de Puccini à l'Opéra de Rome

Xl_trittico1 © Teatro dell'Opera di Roma

Après avoir été présentée au Théâtre Royal de Copenhague et au Theater an der Wien, cette production du Triptyque de Giacomo Puccini - signée par l'italien Damiano Michieletto, l'une des valeurs montantes de la scène lyrique mondiale – atteint les bords du Tibre, au Teatro dell'Opera di Roma. Michieletto modernise radicalement les trois ouvrages, mais sans jamais tomber dans l'outrance, et surtout en respectant toujours les partitions de Puccini. Aidé de son scénographe attitré Paolo Fantin, il imagine une série de containers maritimes posés les uns sur les autres et qui servent de ligne rouge pour les trois ouvrages. Ce sont d'abord ceux entreposés au bord de la Seine, que Michele et ses employés doivent embarquer sur la péniche dans Il Tabarro. Dans Suor Angelica, une fois les parois enlevées, ils deviennent les cellules ou lieux de travail des sœurs, et enfin, grâce à une incroyable machinerie et par un véritable tour de force, la demeure de Buoso Donati, dévoilée sur plusieurs étages, dans Gianni Schicchi. Lors des derniers accords du troisième ouvrage, les parois se recroquevillent et la scénographie se métamorphose pour laisser place... à la même image qui ouvrait sur Il Tabarro. La boucle est bouclée !

Dans ce premier volet, les trois rôles principaux sont remarquablement tenus. Le baryton italien Roberto Frontali trouve dans le personnage de Michele un rôle à sa mesure, dont son chant d'une virilité sans afféterie rend émouvant le caractère populiste du pauvre bougre. Le ténor russe Maxim Aksenov mise avec franchise en Luigi sur une impressionnante opulence vocale qui emporte l'adhésion dans cette partie vériste, et il convainc également dans sa passion suicidaire. En Giorgetta, la soprano américaine Patricia Racette éblouit par son engagement scénique et la manière qu’elle a d’infléchir sa superbe voix lyrique - au timbre d'un métal à la fois ferme et très pur - en des accents tour à tour passionnés ou mélancoliques. On notera également la Frugola - vocalement solide - de la mezzo italienne Anna Malavasi.

Comme souvent, c'est Suor Angelica – donnée sans intervalle après Il Tabarro - qui laissera le souvenir le plus marquant de la soirée. On se rappellera longtemps de la fameuse entrevue entre Suor Angelica et la Zia Principessa dans le parloir du couvent (ici transformé en prison pour femmes...), scène pendant laquelle cette dernière lui demande de renoncer à l’héritage familial, en lui annonçant la (fausse) nouvelle de la mort de son fils. On gardera en mémoire ce moment où, après le départ de la Zia, Suor Angelica glisse des vêtements sous sa robe simulant une grossesse dont elle n'aura jamais profité, mais également le sommet dramatique que constitue son suicide – où la malheureuse héroïne ne s'empoisonne pas mais se taillade plus spectaculairement les veines... -, et plus encore l'arrivée intempestive de ce fils qu'elle croyait mort et qui se jette sur le corps de sa mère alors que celle-ci est en train d'expirer !
Patricia Racette brûle à nouveau les planches dans le rôle-titre et bouleverse en conférant à son héroïne des accents tragiques et torturés (dans le fameux « Senza mamma »), tout en évitant de verser dans le mélodrame larmoyant. Le silence qui suit les derniers accords témoigne de l’émotion qui saisit alors le public. C'est la grande soprano dramatique Violetta Urmana qui interprète le rôle de l’inflexible et arrogante Zia Principessa, emploi dans lequel elle s’impose – derrière ses épaisses lunettes noires - avec une saisissante autorité et une terrifiante inhumanité. Saluons aussi les excellentes « petites sœurs » avec une mention spéciale pour la voix pleine de fraîcheur d’Ekaterina Sadovnikova (Sœur Geneviève) et celle emplie de rudesse d'Alessia Nadin (Sœur Zélatrice).

Après l'entracte – et pour clore la trilogie -, on assiste au cynique et désopilant Gianni Schicchi, dont l’histoire est tirée de L’Enfer de Dante : le riche défunt Buoso Donati, en méchant homme, a légué tous ses biens à un monastère, déshéritant au passage toute sa famille qui, à la recherche dudit testament, s’empresse de saccager l’appartement du vieil homme... sauf qu'un personnage plus malin qu’eux, Gianni Schicchi, tirera finalement avantage de la situation. Damiano Michieletto se laisse ici pleinement aller à sa verve burlesque, dont nous savons qu’il est friand, après son désopilant Barbiere genevois, repris en septembre dernier à l'Opéra Bastille. Pépite de la distribution, le jeune ténor italien Antonio Poli confère à Rinuccio, par son élan et sa voix ensoleillée, une présence éminemment sympathique. Il entonne avec beaucoup d’éloquence son hymne à la ville de Florence, « Firenze è come un albero fiorito », et trouve en Ekaterina Sadovnikova une interprète idéale de Lauretta. La soprano russe en a tout le charme - avec une belle conduite de la ligne et d‘admirables sons filés (magnifique « O mio babbino caro ») et sa fragilité naturelle la rend encore plus touchante. Roberto Frontali réapparaît de façon convaincante en Schicchi, conservant intacts la qualité de son phrasé, la chaleur du timbre et le sens de l‘interprétation. Parmi les nombreux comprimari, signalons la truculente Cousine Zita de la mezzo autrichienne Natascha Petrinsky.

En fosse, Daniele Rustioni – récemment nommé directeur musical de l'Opéra National de Lyon (à partir de 2017) - est l’un des grands triomphateurs de la soirée. Ce jeune chef italien – qui nous a enthousiasmé le mois passé en dirigeant La Juive de Halévy dans la Capitale des Gaules – sidère à nouveau, cette fois à la tête des forces vives du Teatro dell'Opera di Roma. Son propos vise clairement à débarasser la partition de Puccini de ses débordements véristes et, se servant avec maestria du leitmotiv, Rustioni emprunte ses couleurs à la palette des impressionnistes plutôt qu'à celle des expressionnistes. Il est l'un des principaux artisans de cette formidable réussite.

Emmanuel Andrieu

Il Trittico de Giacomo Puccini au Teatro dell'Opera de Rome – Du 17 au 24 avril 2016

Crédit photographique © Teatro dell'Opera di Roma

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