Claus Guth sur tous les fronts : Parsifal à Madrid

Xl_parsifal © Javier del Real

Le très prolifique metteur en scène allemand Claus Guth est sur tous les fronts (lyriques) en ce mois d'avril. Tandis que l'Opéra National de Paris affiche une nouvelle production de Rigoletto qu'il signe, le Grand-Théâtre de Luxembourg une Salomé de Strauss et l'Opéra de Francfort un Trittico de Puccini, le Teatro Real de Madrid reprend, de son côté, une coproduction (entre Zurich et Barcelone) de Parsifal de Richard Wagner. A la différence des dernières productions marquantes de l'ouvrage, comme celle de Romeo Castellucci à La Monnaie de Bruxelles ou de Stefan Herheim pour le Festival de Bayreuth, Guth ne s’intéresse que faiblement à l’aspect mystico-religieux du propos wagnérien. C’est plus la question du devenir d’une Humanité souffrante, sans cesse ballottée par le tourbillon et les vicissitudes de l’Histoire, qui semble le préoccuper.
Quoi qu’il en soit, la hauteur de vue de sa vision dramaturgique est de bout en bout fascinante : il situe l’action entre la fin de la Première Guerre Mondiale (Acte I) jusqu’à l’orée de la Seconde (Acte III), les « Années folles » illustrant l’Acte II. Le fameux Château de Montsalvat est transformé ici en hôpital où les moines-chevaliers sont remplacés par des soldats, soit grièvement blessés, soit rendus complètement déments par les atrocités de la guerre. Le monumental et magnifique dispositif scénique imaginé par Christian Schmidt reste le même pendant les trois actes, mais, habilement disposé sur un plateau tournant, il ne cesse de proposer des tableaux différents au gré d’une rotation quasi chorégraphique, venant « casser » l’idée de statisme à laquelle on associe pourtant  souvent Parsifal. L’utilisation d’images vidéos, comme souvent chez Guth, est fortement prégnante, telle la célèbre scène de l''Enchantement du Vendredi Saint,  scandée par des images d’un conflit armé et de son inévitable cortège de destructions et de désolation. En parallèle à cette grande fresque collective, une autre histoire, plus intime, vient ouvrir et fermer le spectacle. Durant le Prélude, on assiste à la dispute entre Amfortas et Klingsor, considérés ici comme frères - et donc fils de Titurel -, lequel marque ostensiblement sa préférence pour Amfortas comme futur roi. Sur ce, Klingsor quitte la pièce en manifestant violemment son courroux et en proférant force menaces. A la toute fin de l’opéra, tandis que retentissent les dernières mesures, on voit Klingsor venir s’asseoir auprès d’Amfortas - alors que leur père vient de mourir – dans une émouvante scène muette de réconciliation. Ces images sont d’autant plus fortes que la scène qui les précède nous montre tout autre chose : on y voit Parsifal endosser un uniforme qui évoque celui des nazis, juste après avoir été choisi par Gurnemanz pour remplacer Amfortas à la tête des chevaliers-soldats…

Satisfecit total pour le plateau vocal, qui se révèle sans faille. Klaus Florian Vogt prête au héros son merveilleux timbre, d’une clarté et d’une lumière sans égales aujourd’hui parmi les chanteurs wagnériens. Certes, la voix impressionne plus en termes de projection que de puissance, mais l’aigu n’en demeure pas moins insolent, d’un rayonnement que l’on qualifiera de solaire. La ligne de chant est irrésistible les trois actes durant, agissant comme un baume, jusqu’à un « Nur eine Waffe taugt » d’anthologie, lequel communique aux spectateurs une véritable ivresse. Avec son physique d’adolescent naïf, idéal pour incarner le « chaste fol », il s’avère incontestablement le Parsifal le plus complet et le plus convaincant du moment. Anja Kampe, dans le rôle de Kundry, dispose d'un timbre d'une magnifique ampleur. Dans les actes I et III, la santé impérieuse de son médium fait passer le frisson, tandis que son duo avec Parsifal - dans l'acte médian - est l'occasion pour elle de faire une démonstration de beau chant qui impose le respect. Franz-Josef Selig est un Gurnemanz plus grand que nature : son somptueux grain de basse, profond et chaleureux, et la solidité de son chant, qui sait également constamment moduler l'expression, font très forte impression. Detlef Roth campe un Amfortas vocalement presque trop raffiné pour rendre crédible sa déchirure interne, mais nul ne songerait vraiment à se plaindre d’un timbre trop beau. Enfin, la basse russe Evgeny Nikitin, dans le rôle de Klingsor, s’impose par sa diction de la langue de Goethe autant que par son art de phraser la musique, tandis que la basse croate Ante Jerkunica parvient à faire résonner les accents douloureux qui siéent au personnage apitoyant qu'est Titurel.

Quant à la direction musicale de Semyon Bychkov, elle émerveille. A la tête d’un Orchestre du Teatro Real de Madrid dans une forme éblouissante, le célèbre chef russe fait sonner son ensemble avec une solennité jamais figée mais, au contraire, avec beaucoup de fraîcheur et de sensibilité. Là où d’autres traînent ou se hâtent, il trouve les bons tempi qui donnent à la partition de Wagner toute sa force et sa magie. Il parvient surtout à enivrer l’auditoire lors des deux célébrations des actes I et III, à la faveur d’une alchimie sonore dont nous nous souviendrons longtemps. De son côté, le Chœur du Teatro Real de Madrid impressionne autant par la beauté rayonnant de chaque pupitre que par la souplesse fluide des divers registres.

De manière amplement méritée, le public (très international) du Teatro Real réserve une longue standing ovation aux artistes réunis sur scène au moment des saluts... car c’est bien à un Parsifal à marquer d’une pierre blanche auquel nous avons assisté !

Emmanuel Andrieu

Parsifal de Richard Wagner au Teatro Real de Madrid, jusqu'au 30 avril 2016

Crédit photographique © Javier del Real / Teatro Real

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