Bianca e Falliero de Rossini sauvé in extremis à l'Oper Franfkfurt

Xl_g._carella__h._philips_et_m._ostroukhova_dans_bianca_e_falliero___l_oper_k_ln © Emmanuel Andrieu

Branle-bas de combat à l’Opéra de Francfort ! Une heure avant le début de la représentation de Bianca e Falliero de Gioacchino Rossini, les funestes résultats tombent : le ténor (Theo Lebow) et la basse (Kihwan Sim), mais aussi la régisseuse générale et une bonne partie de ses machinistes sont déclarés positifs au Covid. On pense d’abord à annuler, mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté du chef italien Giuliano Carella qui, avec l’accord de la direction artistique du théâtre, décide de maintenir le spectacle en faisant contre mauvaise fortune bon cœur : la soirée aura lieu quand bien même sans la mise en scène (de Tilmann Köhler) et avec seulement les deux rôles-titres ! Ramenée à 1h15 sans entracte (contre 3h avec entracte), elle n’en recueille pas moins des vivats nourris pour les trois artistes qui ont sauvé la soirée : Giuliano Carella, la soprano américaine Heather Philips dans le rôle de Bianca, et la mezzo russe Maria Ostroukhova dans celui de Falliero.

C’est d’autant plus dommage que l’œuvre est particulièrement rare à l’affiche, et que la partition – créée à La Scala de Milan en 1819 – est l’une des plus exigeante du cygne de Pesaro, où se succèdent une suite spiralée et époustouflante de cavatines, cabalettes et quatuors vertigineux. Si nous avons eu droit à la plupart des cavatines et cabalettes (hors celle du ténor, au I), les spectateurs ont dû se passer des quatuors, ainsi que du tourbillonnant finale qui clôt l’acte 1. Et Giuliano Carella se voit chargé de jouer les maîtres de cérémonie, en introduisant les différents morceaux sauvés (ceux dévolus aux deux chanteuses en solo ou duo), qui se succèdent ici les uns après les autres, sans continuité dramatique. Car il n’y a guère que les costumes endossés par les deux cantatrices qui conservent le souvenir de la partie scénique... Quant au livret, il s’avère assez tiède et souffre de situations téléphonées, où l’on reconnaît celles de Tancredi ou même d’Otello. Bianca, éprise de Falliero, ennemie de son père (Contareno), se refuse au mariage avec un prétendant qu’elle n’aime pas (Capellio). Bien sûr, l’amoureux, discrédité par une situation maladroite, doit triompher d’une adversité généralisée... et y parvient pour un lieto fine !

Face à de telles conditions, notre admiration se trouve redoublée devant la réussite tant musicale que vocale de la soirée, qui a fait par ailleurs oublier (pendant une heure) les tensions tragiques entre la Russie et le reste de l’Occident. Car avec l’américaine et la russe, le belcanto s’affirme ici comme une exploration pénétrante et incisive de l’expressivité de la voix. Un duo de charme, malgré des costumes fort laids et des interactions limitées, qui repose sur l’équilibre de leur voix, de leur timbre et de leur sensibilité. Avec un avantage pour la première, qui a eu l’occasion de peaufiner sa partie lors des cinq représentations antérieures, tandis que la chanteuse russe effectuait sa prise de rôle ce soir (à la suite de la mezzo écossaise Beth Taylor), avant les trois suivantes représentations. Si on la sent sur la réserve, avec un chant qui se fait parfois hésitant, elle n’en incarne pas moins un Falliero convaincant, avec son beau timbre mordoré et son chant orné envoûtant. Chez Heather Philips, on admire la fluidité des vocalises, l’étendue du registre (le grave sonne plein), et le poli de l’exécution. La noblesse des accents et le lyrisme raffiné dans les cantabili éblouissent, mais l’émerveillement provient surtout de la qualité exceptionnelle de sa colorature, toute d’ardeur et de précision. Un modèle de chant belcantiste qui plonge l’auditoire dans une atmosphère d’une ineffable poésie, accueillie par des bravi tant après sa merveilleuse cavatina « Della rosa il bel vermiglio », qu’à la suite de son rondo final, emprunté à La Donna del lago (du même Rossini).

Au pupitre, Giuliano Carella se démène comme un diable pour garder une unité générale, et l’on savoure une nouvelle fois les merveilles qui émanent de sa baguette – notamment la variété du style et le sens de l’architecture musicale –, d’autant que le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Francfort lui répondent avec leur habituel enthousiasme. Bref, une soirée brillamment dirigée (et sauvée) par maestro Carella !

Emmanuel Andrieu

Bianca e Falliero de Gioacchino Rossini à l’Oper Frankfurt, le 11 mars (et jusqu’au 26 mars 2022).

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

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