Après Lyon, Viva la mamma de Donizetti conquiert Genève !

Xl_vivalamamma_c_carole_parodi_03 © Carole Parodi

Lorsque deux stars du chant lyrique – en l’occurrence Patrizia Ciofi et Laurent Naouri – acceptent de se moquer d’eux-mêmes, cela donne forcément un spectacle insolite. Car l’humour n’est pas si fréquent dans le monde de l’opéra, surtout lorsqu’il se joue ainsi au second degré, sur le fil du rasoir. Composé en 1827 pour le Teatro Nuovo de Naples et remanié quatre ans plus tard pour le Teatro del Fondo, toujours à Naples, Le Convenienze ed inconvenienze teatrali (que l’on représente aujourd’hui sous le titre plus accrocheur de Viva la mamma !) appartient à la meilleure tradition lyrique bouffe. Loin d’être, comme on l’a écrit parfois, une œuvre de second rayon, seulement marquée par l’air de son temps. Encore faut-il ne pas en forcer le trait et trouver un juste équilibre entre la distance ironique et la charge dévastatrice. En prenant ses distances avec les derniers soubresauts de l’opéra seria, Gaetano Donizetti prouvait qu’il en connaissait parfaitement les règles.

Après avoir conquis le public lyonnais en juin 2017, la production imaginée par Laurent Pelly a remonté le Rhône pour aborder les rives du Léman, à l’Opéra des Nations de Genève, avant de poursuivre sa route au Gran Teatre del Liceu de Barcelone et au Teatro Regio de Turin, maisons coproductrices du spectacle. Le génial metteur en scène français transpose l’intrigue de Viva la mamma ! dans un théâtre désaffecté transformé en garage, conçu par sa fidèle scénographe Chantal Thomas. Comment ne pas penser au triste sort du magnifique théâtre de Detroit dont tel a été le destin ! La direction d’acteurs intelligente de Laurent Pelly, homme de théâtre toujours soucieux de la musique qu’il visualise, les costumes qu’il a lui-même conçus – d’abord neutres puis explicitement empruntés à l’opéra seria –, les éclairages habiles de Joël Adam, enfin, concourent à la stupeur finale : le théâtre s’effondre petit à petit sous les coups de boutoir de marteaux-piqueurs, dans un fracas et un clair-obscur qui permettent la fuite déshonorante de la troupe d’artistes.

La distribution est dominée par Laurent Naouri, devenu basso buffo pour la circonstance, et qui se montre confondant de virtuosité, de volubilité, de drôlerie. Il campe Mamma Agata, mère possessive qui, brûlant d’assouvir une vocation lyrique rentrée, improvise la « Chanson du saule » d’Otello (de Rossini) en des paroles approximatives : « Assisa a piè d’un saco » (« Assise au pied d’un sac » !). Dans le rôle de Daria, la Prima donna, Patrizia Ciofi fait preuve de son intelligence et de son grand humour en présentant ainsi la caricature de soi-même… tout en conservant les acquis d’une discipline intransigeante, où elle affronte crânement le chant orné de sa partie. Moins sollicités, les autres rôles sont très bien distribués, à commencer par le ténor brésilien Luciano Botelho (Gugliemo, Primo tenore) qui enchante dans sa savoureuse caricature de ténor allemand colérique qui n’arrive pas à aligner deux mots en italien. De son côté, Melody Louledjian (Luigia) parvient, dans un air parodique, à donner une divertissante caricature de Seconda Donna en lutte avec une grande aria dont elle ne peut maîtriser les difficultés. Le baryton serbe David Bizic s’avère parfaitement à l’aise en mari-impresario-chanteur d’occasion : il fait même étalage d’un legato élégant et d’une technique à toute épreuve. Enfin, Pietro Di Bianco (Biscroma) campe un chef d’orchestre volubile à souhait, tandis que les comprimari n’appellent aucun reproche.

En fosse, le chef hongrois Gergely Madaras - directeur musical de l’Orchestre Dijon Bourgogne - donne à l’ouvrage tout le nerf et la causticité qui lui sont attachés, tout en parvenant à conserver ces moments de vérité, lorsque les masques tombent et que le métier doit parler de lui-même…

Une soirée réjouissante qui a déridé le public genevois, c’est peu de le dire !

Emmanuel Andrieu

Viva la mamma ! de Gaetano Donizetti à l’Opéra des Nations de Genève, jusqu’au 3 janvier 2019

Crédit photographique © Carole Parodi

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