Après Anvers, l'Opéra de Gand reprend le rare Duc d'Albe de Donizetti

Xl_le_duc_dalbe © Annemie Augustijns

Commencé à la fin des années 1830, durant le séjour parisien de Donizetti, Le Duc d’Albe ne fut jamais terminé du vivant du compositeur, deux actes à peine restant couchés sur le papier à sa mort en 1848. Des années plus tard, Matteo Salvi, élève de Donizetti, entreprit de poursuivre la composition sur un livret de Scribe et Duveyrier, traduit en italien. En 2012, l’Opéra de Flandre propose au compositeur italien Giorgio Battistelli (né en 1953) de réviser les deux derniers actes inachevés à partir du livret original français. C’est du coup deux univers sonores que le public expérimente entre la première et la seconde partie du spectacle (dont l’écriture rappelle Britten), et l’on applaudira notamment (et à deux mains encore !) les dix minutes que dure la scène finale, dans laquelle le Duc pleure sur son fils défunt, plainte sublimement reprise par le chœur.

L’histoire se passe dans la Flandre du XVIe siècle, alors dominée par le Royaume d’Espagne, dont le Duc d’Albe est le représentant omnipotent. Un jeune homme dénommé Henri de Bruges est le chef de l’insurrection flamande… mais s’avère être en fait le fils du tyran ! Ce dernier aime Hélène qui est la fille du Comte d’Egmont que le Duc vient de faire exécuter, et Hélène ne pense qu’'à la vengeance. Alors qu’elle tente d’assassiner le Duc d'Albe, Henri – qui a appris sa véritable descendance - s’interpose et reçoit le coup mortel…

Après le succès rencontré par cette mouture due à Battistelli à l’Opéra d’Anvers, c’est à celui de Gand qu’est repris l’ouvrage ces jours-ci. La mise en scène avait été confiée au talentueux Carlos Wagner qui – à l’aide de l’ingénieux Alfons Flores (le fameux scénographe de la Fura dels Baus) – a imaginé une nacelle en hauteur d’où les occupants espagnols surplombent, narguent et dominent le peuple flamand, cantonné quant à lui dans la partie basse. D’immenses statues de guerriers occupent l’espace derrière la nacelle (photo), symboles d’oppression, tandis que les opprimés ne cessent de sortir de l’ombre pour extraire leurs morts et soigner les blessés qui jonchent la scène. A la fin, c’est même décapité que le peuple flamand en entier apparaît ! Un spectacle aussi noir qu’efficace…

C’est par ailleurs un vrai bonheur que distille la distribution vocale réunie à Gand, à commencer par le ténor sicilien Enea Scala qui gratifie l’auditoire de sa voix insolente, de son timbre charnu, et de son chant toujours ardent. Il renouvelle l’enthousiasme suscité par ses autres incarnations donizettiennes : Viva la Mamma récemment à Lyon ou Caterina Cornaro en 2014 à Montpellier. De son côté, la soprano polonaise Ania Jeruc endosse les habits d’Hélène avec toute l’assise requise, une voix ample et souple à la fois, et une émission très sûre lui permettant d’épouser sans difficulté un registre grave d’une belle couleur, un médium d’une rare amplitude, et des aigus flamboyants. Le baryton turc Kartal Karagedik incarne un Duc d’Albe superbement nuancé, au superbe legato, jouant des couleurs de sa voix dans les airs qui lui sont dévolus ; dommage cependant que l’acteur ne soit pas à la hauteur du chanteur... Dans le rôle de Daniel, la basse finlandaise Markus Suihkonen, malgré un registre grave impressionnant, machouille – plus qu’il ne la chante – la langue de Molière. Enfin, David Shipley est un Sandoval solide et bien chantant, tandis que le Chœur de l’Opéra de Flandre, magnifique d’intensité et d’engagement (mais à la diction perfectible…), s’avère un des atouts-maîtres de la soirée. Son atout majeur reste toutefois la direction superlative du chef ukrainien Andriy Yurkevych, auquel la phalange flamande semble obéir les yeux fermés, et qui offre une lecture fiévreuse et nerveuse de la partition de ce chef d’œuvre trop rare du maître de Bergame.

Emmanuel Andrieu

Le Duc d’Albe de Gaetano Donizetti à l’Opéra de Gand, jusqu’au 6 décembre 2017

Crédit photographique © Annemie Augustjins
 

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