Anna Netrebko de retour sur scène dans Manon Lescaut à Monte-Carlo

Xl_anna_netrebko_et_yusif_eyvazov_dans_manon_lescaut___monte-carlo2 © Alain Hanel

Après deux mois de repos majoritairement choisi plutôt que forcé, suite au conflit russo-ukrainien sur lequel la chanteuse s’est exprimée sur les réseaux sociaux en prenant finalement parti, Anna Netrebko est de retour sur scène. Et c'est à la faveur du désistement de Maria Agresta dans le rôle-titre de Manon Lescaut de Puccini à l’Opéra de Monte-Carlo qu’elle évolue à nouveau sur le plateau d’un théâtre lyrique. Rassurons le lecteur, c’est dans une forme éblouissante qu’elle apparaît, brûlant les planches comme jamais, et l’on sent dans son chant comme dans son jeu le bonheur qu’elle éprouve de retrouver la scène… d'autant que c'est aux côtés de son mari, le ténor azéri Yusif Eyvazov ! Femme d’instinct, le personnage de Manon Lescaut – tel que conçu par Puccini et ses librettistes – convient idéalement à la personnalité de la diva russo-autrichienne. Quant à la voix, elle n’a rien perdu de son timbre voluptueux, ni de la rondeur de son médium, la lumière et la puissance du timbre procurant toujours le même irrésistible frisson. Les accents passionnés du duo d’amour au II, les cris de détresse au III, le mélange de révolte et de résignation au IV, sont admirablement rendus, avec le climax que représente sa mort, chantée à fleur de lèvres, la voix s’amenuisant comme une chandelle sur le point de s’éteindre, sans rien perdre de sa substance… Du grand art !

Face à elle, Yusif Eyvazov s’empare avec vaillance d’un rôle dont son chant sert tous les aspects, de la désinvolture initiale (« Tra voi, belle »), au paroxysme du désespoir (« No ! Pazzo son ! »), en passant par un exemplaire lyrisme dans la déclaration (« Donna non vidi mai »), et l’éclat indigné (« O tentatrice ! »). Il se pose indubitablement en l'un des incontournables Des Grieux de notre époque ! Un Geronte incisif à la voix noire (la basse italienne Alessandro Spina), un Lescaut sonore et stylé (Claudio Sgura), et un Edmondo (le ténor portugais Luis Gomes) dont le madrigal initial recueille ce qui demeure du XVIIème siècle dans l’ouvrage, concourent à la réussite incontestable de l’ensemble – au même titre que les personnages plus épisodiques (Rémy Mathieu en Maître de Musique et Loriana Castellano en Maître de Ballet), ainsi que le chœur maison, excellent comme à son habitude, tout particulièrement dans le finale du III.

Étrennée l’an passé à l’Opéra d’Erfurt, que dirige depuis vingt ans l’homme de théâtre suisse Guy Montavon, la production est signée par ce dernier. Certainement adaptée au public de la capitale de la Thuringe (en ex-Allemagne de l’est), elle n’a en revanche guère emballé le public monégasque qui l’a accueillie au mieux avec indifférence, au pire avec irritation (à l’instar de votre serviteur). Loin d’éclairer les spectateurs, les notes d’intention du metteur en scène laissent perplexes : « Géronte, artiste-peintre et sculpteur extravagant (…) doit modeler Manon, la posséder, jouir à travers sa muse la déchirure existentielle qui lui permet toute son expression artistique. Il ne fera jamais l’amour à Manon, sa fascination pour elle est sublimée de telle manière qu’il ne peut que la rejoindre dans son monde artistique rocambolesque et fou ». Bref, encore un de ces metteurs en scène qui croit que son nouveau « scénario » sera plus intéressant que l’original, né pourtant sous la plume de l’Abbé Prévost ! De fait, Géronte s’avère être ici un artiste qui est non seulement plus jeune que Manon (alors qu’il devrait avoir a minima l’âge de son père, voire de son grand-père...), mais il possède en plus un physique encore plus flatteur que celui de Des Grieux, ce qui met tout simplement à mal tout le propos et le ressort dramatique de l’action. De même, on ne comprend rien aux costumes hétéroclites du chœur, ni à la scénographie bizarroïde qui étonne dans les trois premiers actes, puis déboussole complètement au IV : une cloison sépare les deux amants, Manon se retrouvant enfermée dans un cube aux parois noires qu’un abat-jour éclaire d’une lumière rougeoyante, tandis que Des Grieux est dans son petit appartement avec, comble d’ironie et de perversité, quatre packs de six litres d’eau (de la marque Cristalline, « l'eau préférée des français ...) alignés contre l’un des murs ! Et tandis que l’héroïne agonise de soif toute seule dans la pièce voisine, son amant est happé par une mystérieuse lumière blanche émanant de l'unique issue du dispositif scénique...

Aux côtés de la distribution vocale, l'autre artisan de la réussite de la soirée est le chef, un Pinchas Steinberg plus jeune que jamais malgré ses soixante-seize printemps ! Comme on pouvait s’y attendre avec le grand chef israélien, il privilégie la dimension symphonique de la partition de Puccini, notamment dans un intermezzo aux langueurs toutes mahlériennes, mais sans oublier de rendre l’atmosphère à la fois légère et mélancolique propres aux tableaux intimistes, offrant des moments de pure poésie, distillés par un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en état de grâce !

Emmanuel Andrieu

Manon Lescaut de Giacomo Puccini à l’Opéra de Monte-Carlo, jusqu’au 30 avril 2022

Crédit photographique © Alain Hanel

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