A Liège, une Lakmé sous le regard de Gandhi

Xl_lakm____li_ge © Jonathan Berger

Hasard du calendrier, alors que l’Opéra Comique met actuellement à son affiche Lakmé (avec Sabine Devieilhe dans le rôle-titre), le chef-d’œuvre lyrique de Léo Delibes est également le titre qu’a retenu Stefano Pace pour inaugurer la saison 22/23 de l’Opéra Royal de Wallonie.

Le metteur en scène italien Davide Garattini Raimondi n’est pas un inconnu à Liège puisqu’il y avait déjà monté une Norma de Bellini, en 2017 (avec la même équipe artistique, Paolo Vitale à la scénographie et aux éclairages et Giada Masi aux costumes), qui ne nous avait guère convaincus. Il signe un travail ici plus abouti, avec un jeu sur les couleurs du drapeau indien (le jaune, le blanc et le vert), qui détermine la couleur des trois différents tableaux / actes : un temple hindou où trône le dieu Ganesh au I, la place d'un marché au II, puis un club-house anglais, au III, plutôt que la forêt décrite dans le livret. Mais l’originalité du spectacle réside dans la présence sur scène du fameux Gandhi, sous la forme d’un vrai sosie du personnage historique, mais aussi sous celle d’un enfant, celui qu’il était à l’époque de la création de l’ouvrage (14 ans en 1883). Tout au fil de la soirée, ses plus célèbres tirades (« Haïssez le péché, aimez le pécheur », « Là où il y a la peur, il n’y a pas de religion », « Il n’est pas nécessaire d’éteindre la lumière de l’autre pour que brille la nôtre », etc.) défilent sous nos yeux, et le metteur en scène imagine que les événements tragiques auxquels il assiste ici auraient pu le conduire à sa philosophie pacifiste et non-violente. Pourquoi pas, d’autant que cela ne gêne en rien l’émotion générée par le couple de héros.

Après avoir débuté dans le rôle à l’Opéra de Tours en 2017, c’est donc sur ses terres wallonnes que Jodie Devos reprend ce rôle mythique, auquel elle offre à nouveau sa rondeur d’émission, son intelligibilité prosodique, et sa virtuosité sans faille. Surtout, elle parvient à brosser un parfait portrait psychologique de l’héroïne, de la petite fille candide et docile du I, à la femme tout entière ouverte à l’amour au II, puis prête à assumer son destin au III. De même, Philippe Talbot enthousiasme en Gérald : son beau timbre clair, son aigu facile, sa diction d’une netteté irréprochable et son phrasé charmeur emportent l’adhésion. En Nilakantha, le baryton belge Lionel Lhote convainc mieux dans la noirceur du Brahmane fanatique que dans les élans de tendresse du père de Lakmé, tandis que la mezzo française Marion Lebègue campe une formidable Mallika, au timbre riche et profond. Le fameux « duo des fleurs » est ainsi l’un des temps forts de la soirée, tant sa voix se fond idéalement dans celle de Jodie Devos. De son côté, Pierre Doyen campe un Frédéric très présent, au même titre que Sarah Laulan, impayable Mistress Bentson, en femme rigoriste et très collet monté. Tous les autres rôles sont parfaitement caractérisés, avec une mention pour l’émouvant Hadji de Pierre Romainville, au très joli ténor.

En revanche, le chef français Frédéric Chaslin ne fait pas dans la dentelle et dirige cette musique avec une alacrité et une puissance qui ne respectent guère l’esprit et la lettre de l’ouvrage plein de finesse de Delibes. De fait, l’on cherchera en vain ce soir la délicatesse rêveuse et les alliages raffinés qui font pourtant tout le charme de cette musique… dommage !

Emmanuel Andrieu

Lakmé de Léo Delibes à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, jusqu’au 1er octobre 2022

Crédit photographique © Jonathan Berger

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