Until the lions de Thierry Pécou à Strasbourg : démonstration de force

Xl_until-the-lions-onr-2022f © Opéra National du Rhin

Donné en création mondiale à Strasbourg, Until the Lions de Thierry Pécou séduit par son flot de musique et ses danses spectaculaires mais achoppe sur la dramaturgie et l’émotion de son histoire.

(c) Opéra national du Rhin 2022

Le spectacle est cependant très original. Commandé par la regrettée Eva Kleinitz à l’occasion du 50ème anniversaire de l’Opéra National du Rhin, Until the Lions s’inspire d’un conte du Mahabharata indien. La librettiste Karthinka Naïr y choisit des personnages féminins, généralement relégués dans l’ombre. Avouons-le, sans consulter au préalable le livret, on ne comprend que peu, ou rien, de l’histoire de Satyavati (Fiona Tong) racontant elle-même la fureur de la princesse Amba (excellente Noa Frenkel, fidèle interprète de la musique de Thierry Pécou) à l’égard du guerrier Bhishma (Cody Quattlebaum). C’est que l’oeil et l’oreille sont accaparés par ce qui se passe sur la scène et dans la fosse. Portée par les belles lumières de Floriaan Ganzevoort et les décors et costumes de Merle Hensel, la chorégraphie de Shobana Jeyasingh impressionne par ses combats millimétrés et les duos mixtes des formidables danseurs de l’Opéra National du Rhin. Régulièrement, on se sent dépaysé, devant un spectacle, qui, loin de tout exotisme ou de toute tradition préalablement existante (deux semaines auparavant, Strasbourg accueillait Only the sound remains de Saariaho, plus directement inspiré par la tradition japonaise), apparaît comme une synthèse originale entre l’oratorio, le poème dansé, la chanson de gestes, le théâtre de tréteaux, menée à un tempo d’enfer.

(c) Opéra national du Rhin 2022

On retrouve cette même fièvre et ce même syncrétisme dans la musique de Thierry Pécou. Grand voyageur, le compositeur français impressionne ici par l’urgence qu’il insuffle à son orchestre. A la tête de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, Marie Jacquot (qui vient d’être nommée directrice musicale du prestigieux Théâtre Royal de Copenhague) est la grande triomphatrice de la soirée. La cheffe très active Outre-Rhin mène avec brio un flux orchestral qu’il est bien difficile de décrire : à la fois ascétique et luxuriante, massive et remplie de détails instrumentaux raffinés (guitare électrique, éoliphone…), la musique de Pécou alterne rythmes stravinskiens, épisodes résonants tout en multipliant les audaces (quarts de tons, multiphoniques…) et les repères d’écoute. Si A Flowering Tree de John Adams (inspiré de contes indiens) semble le modèle évident d’Until the Lions, l’utilisation efficace du gamelan rappelle l’ultime opéra de Britten, Mort à Venise. Travaillant par couches et accumulations, Pécou multiplie les ostinati auxquels il ajoute ou juxtapose des éléments venus de traditions extra-européennes. Comme s’il cherchait à faire entendre un collage de tout ce qu’il avait entendus dans le monde. Le spectateur se trouve ainsi pris dans un tourbillon, auquel manque hélas le drame et l’émotion. Il n’en demeure pas moins que cette démonstration de force regorge de fougue !

Laurent Vilarem
Opéra National du Rhin, Strasbourg, 27 septembre 2022

Until the lions - Opéra National du Rhin (2022)

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