Only the sound remains : Kaija Saariaho signe un beau rêve d’Orient au Festival Musica de Strasbourg

Xl_only-the-sound-remains-musica-2022-002 © Tokyo Bunka Kaikan / Koji Iida

Kaija Saariaho a composé cinq opéras. Parmi ceux-ci, respectivement le premier (L’Amour de loin, créé au Festival de Salzbourg en 2000) et le dernier (Innocence, donné au Festival d’Aix 2021) ont triomphé sur les scènes du monde entier. Créé en 2016 à l’Opéra d’Amsterdam et repris au Palais Garnier en 2018, Only the sound remains paraît connaître une même fortune puisque cette production strasbourgeoise bénéficie d’une nouvelle mise en scène, dont la première a été offerte la saison dernière à Tokyo.

Disons-le tout net : la production originelle d’Amsterdam avait déçu, la faute incombant à la mise en scène désincarnée de Peter Sellars. Pour ce nouveau spectacle, inscrit au sein de la programmation du festival de musique contemporaine Musica à Strasbourg, Kaija Saariaho est jouée parmi les siens. À la mise en scène, on retrouve son fils Aleksi Barrière et parmi les musiciens, le chef Ernest Martinez Izquierdo et la flûtiste Camilla Hoitenga comptent parmi les artistes les plus fidèles à la compositrice finlandaise. Tel qu’il a été donné à Strasbourg, Only the sound remains met particulièrement bien en valeur la maîtrise et l’originalité de la musique de Kaija Saariaho.

Only the sound remains (c) Tokyo Bunka Kaikan / Koji Iida

À l’heure des crispations identitaires, Only the sound remains pose néanmoins des questions actuelles. Car ne pourrait-on pas parler d’ “appropriation culturelle” dans cet ouvrage qui utilise deux textes issus du théâtre nô (eux-mêmes issus de traductions de l’écrivain Ezra Pound) et en s’inspirant largement de la tradition japonaise ? Kaija Saariaho vise ici bien à quelque chose passé de mode, semble-t-il, depuis quelques années : le mélange, voire la fusion, des cultures. Il y a quelque chose de l’idéal des années 1980 voire 1990 dans ce spectacle scindé en deux contes Always strong et Feather Mantle qui cherche à mêler “l’esthétique du nô et la machinerie d’opéra italienne”, à faire se rencontrer la musique européenne et la temporalité nippone. Et ce n’est pas un hasard, si la langue du spectacle est celle de l’idiome universel de notre époque : l’anglais.

Certes, on pourrait jouer l’avocat du diable et parler d’orientalisme ; on pourrait également affirmer que “l’appropriation culturelle” est ici permise car le Japon est une culture “noble” et “supérieure”, et en rien un pays dominé car comptant parmi les plus riches de la planète. Mais Only the sounds remains est rédimé par deux points cruciaux : le spectacle a été formidablement accueilli lors de sa première à Tokyo en 2021, et le projet de synthèse culturelle est au cœur même de l'œuvre de Saariaho depuis ses débuts. La compositrice finlandaise habite en effet Paris depuis quarante ans, et dans Only the sounds remains, elle utilise pour la première fois le kantele (Eija Kankaanranta), l’instrument de son pays natal, comme un retour aux origines. Cette volonté d’embrasser différentes cultures éclatera encore davantage dans son opéra Innocence (et chef d'œuvre à ce jour) qui utilise pas moins neuf langues ! Une œuvre aux dimensions du monde et qui appelle à la rencontre humaniste.

Only the sound remains (c) Tokyo Bunka Kaikan / Koji Iida

Après ce long préambule, passons au spectacle en lui-même. C’est précisément car il trouve le bon équilibre entre Orient et Occident, théâtre, danse et vidéo que cet Only the sound remains envoûte. Certes, les décors avec leurs rideaux coulissants et leurs références à la calligraphie sont japonisants mais sans ostentation superflue. À la différence de la mise en scène de Sellars, Aleksi Barrière n’oublie pas d’habiter la scène, ainsi les quatre solistes du remarquable Cor de Cambra del Palau de la Musica interviennent auprès des deux solistes (les excellents Michał Sławecki et Bryan Murray, même si ce dernier ne parvient pas à faire oublier le créateur du rôle, Philippe Jaroussky). De même, le danseur et chorégraphe Kaiji Moriyama parvient à une véritable osmose avec les chanteurs lors d’un final époustouflant. Ce travail discret ne passe jamais en force et laisse respirer l'œuvre.

On retrouve cette même fusion dans la partie instrumentale : le chef Ernest Martinez Izquierdo trouve un bel équilibre entre l’ensemble de sept solistes (dont le Quatuor Ardeo) et l’électronique (qui rehausse les apparitions surnaturelles du livret). C’est dans toute cette globalité riche et harmonieuse que la musique de Saariaho s’épanouit. Coloré, ondoyant, le tissu instrumental paraît concrétiser “l’orchestre sans pied” qu’appelait de ses voeux un compositeur comme Debussy. Certes inactuel mais d’une grande richesse musicale et thématique, cet Only the sound remains n’a pas fini de nous faire rêver…

Laurent Vilarem
Théâtre Le Maillon de Strasbourg (16 septembre 2022)

Only the sound remains au Festival Musica, le 16 et 18 septembre 2022

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