Rusalka, jeune sirène d’aujourd’hui à l’Opéra Grand Avignon

Xl_rusalka_opera-grand-avignon_2023-001 © Opéra Grand Avignon

Et si Rusalka était un opéra d’une grande actualité ? Relativement méconnu il y a encore quelques décennies, l’ouvrage de Dvořák est de plus en plus à l’affiche de nos théâtres lyriques. En témoignait encore cette production imaginée par le duo Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, qui, après sa création à l’Opéra Grand Avignon, part début novembre à l’Opéra de Bordeaux puis en janvier à l’Opéra de Nice.

Quels éléments de réponse apporter à cette recrudescence ? S’il n’est pas nouveau, il faut noter que le thème de la métamorphose connaît actuellement un regain d’intérêt puisque Le Bateau Feu de Dunkerque s’apprête à créer l’opéra Les ailes du désir d’Othman Louati (dans lequel un ange lassé de sa condition rejoint le monde des humains) ou qu’au cinéma, Le règne animal de Thomas Cailley imagine une société où des personnes sont touchées par un virus qui les transforme en animaux sauvages. S’inspirant d’un conte d’Andersen, Rusalka raconte l’histoire d’une ondine qui choisit de vivre à la surface de l’eau pour vivre son amour avec un prince. C’est ainsi l’histoire d’un monde où les personnages sont en train de muer, où des univers en devenir qu’on croyait irrémédiablement séparés l’un de l’autre se rapprochent, où nature et culture se rencontrent dans des configurations explosives. Des thèmes qui trouvent tous des échos divers mais profonds dans notre actualité.


Rusalka, Opéra Grand Avignon (2023)

On se souvient de la belle production féérique de Robert Carsen, qui a fait jusqu’à encore récemment les beaux jours de Bastille. Or, le duo Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil choisit précisément d’actualiser la trame de Rusalka. Ici, en Avignon, le monde des esprits de l’eau se situe dans une piscine municipale. La sirène est amoureuse du prince mais n’est pas à la hauteur des membres de l’équipe de natation synchronisée, qui sont les reines de ce lieu. On craint au début que le duo Clarac-Deloeuil ne reproduise exactement le même procédé que dans leur décevante Madame Butterfly à l’Opéra de Rouen : faire de l’héroïne de l’opéra une jeune fille malheureuse aux prises avec son quotidien dans une ville de province. L’apparition de la sorcière Jezibaba en nettoyeuse de piscine avec un gilet jaune laisse même craindre le pire. Mais le projet des Clarac-Deloeuil de faire de Rusalka un teen-movie cruel touche juste. L’opéra de Dvořák s’avère une belle réflexion sur l’adolescence, l’âge de toutes les métamorphoses, et une critique des injonctions de beauté que les hommes imposent aux jeunes femmes. Ici, Rusalka ne sait pas comment devenir femme ni comment séduire le prince. Le message « féministe » reste léger mais puissant, tout comme l’alliage entre mythe et réalisme s’inscrit de façon cohérente grâce aux beaux décors et la scénographie réalisés par Clarac et Deloeuil eux-mêmes. On ne s’ennuie pas une seconde, on rêve et on s’identifie aux situations des personnages. Le dernier acte transcende l’anecdote jusqu’à réussir un grand moment lyrique grâce à deux chanteurs inspirés (Misha DidykAni Yorentz Sargsyan).

Musicalement, l’opéra de Dvořák tient également de l’hybride. Créé en 1901 à Prague, l’ouvrage relève tout à la fois de Wagner, de Vienne, des danses slaves que d’un impressionnisme préfigurant Janacek. Ancien directeur musical de l’Opéra de Tours, le chef Benjamin Pionnier réalise une très belle performance au diapason d’un Orchestre National Avignon-Provence qui s’adapte remarquablement aux différentes atmosphères requises par le compositeur. Pas d’hétérogénéité non plus dans la distribution vocale, mais une troupe de chanteurs homogène et engagée. On citera l’excellente première nymphe de Mathilde Lemaire, la solide Jezibaba de Cornelia Oncioiu, l’émouvant Vodnik de Wojtek Smilek (qui prend les airs de Philippe Lucas, l'ancien entraîneur de la nageuse Laure Manaudou !), la puissante Princesse étrangère d’Irina Stopina, le chaleureux Prince de Misha Didyk et surtout la bouleversante Rusalka d’Ani Yorentz Sargsyan, qui à l’instar de son personnage, grandit et se révèle à elle-même au fur et à mesure de la représentation.

Rusalka s’affirme comme une nouvelle preuve de l’excellente santé de l’Opéra d’Avignon, en attendant les représentations du spectacle à Bordeaux et à Nice.

Laurent Vilarem
Avignon, 15 octobre 2023

Rusalka à l'Opéra Grand Avignon les 13 et 15 octobre 2023

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