Don Quichotte à Bastille, un chevalier à l’émouvante figure

Xl_don-quichotte-opera-de-paris-2024-001 © Emilie Brouchon / OnP

Voici une formidable production de l’Opéra de Paris. La mise en scène de Damiano Michieletto est non seulement splendide visuellement mais prolonge brillamment le sens profond du Don Quichotte de Massenet.

Créé en 1910, Don Quichotte est en effet l’un des tout derniers opéras du compositeur stéphanois. S’il n’a pas la splendeur mélodique de Manon ou Werther, l’ouvrage constitue un curieux mélange entre Carmen (l’histoire se déroule en Espagne) et Pelléas et Mélisande (par sa dimension mélancolique). La réussite du spectacle de Bastille réside principalement dans son atmosphère crépusculaire. En plaçant l’action dans un décor unique (un appartement qui s’ouvre régulièrement sur des perspectives saisissantes), Michieletto fuit toute couleur locale d’opérette pour brosser le portrait d’un gentil fou qui vit ses derniers moments. On entre ainsi dans la tête du « chevalier à la triste figure », rongé par l’idéal, consumé par la réalité qu’il renie.


Don Quichotte - Opéra National de Paris - Bastille (2024) (c) Emilie Brouchon

Parmi les atouts de la soirée, l’étonnante scénographie réserve de nombreuses apparitions de personnages inattendues. On reste souvent surpris par l’action mentale qui se déroule sous nos yeux, telle la magnifique scène des moulins ou la mésaventure des brigands, toutes deux réglées au millimètre. Mais c’est peut-être dans la direction d’acteurs que réside toute la poésie de la soirée. Sans outrances, Michieletto brosse un regard très humain sur ses héros. L’incarnation de Christian Van Horn en Don Quichotte est ainsi remarquable : colosse au sourire d’enfant, le baryton-basse nord-américain n’a peut-être pas la prononciation ni les couleurs requises par le rôle, mais son interprétation émeut durablement. En Sancho, Etienne Dupuis frappe un grand coup en conjuguant à la fois verve comique, prosodie idiomatique et humanité débordante. Si Gaëlle Arquez peine à libérer sa voix au premier acte, la mezzo française réussit également une très sensible et complexe Dulcinée.

Dans la fosse, le chef Patrick Fournillier s’avère remarquable. Tout ce qui pourrait être statique, en raison de l’aspect psychologisant de la mise en scène, s’anime et prend vie sous sa baguette. La musique de Massenet réserve à l’orchestre de beaux solis et le Chœur s’avère solide et bien sonnant. Dans cette production, l’opéra quitte ses atours de divertissement ensoleillé pour prendre, in fine, une jolie dimension existentielle.

Un Don Quichotte de Massenet abstrait, mais moderne et émouvant.

Laurent Vilarem
Paris, 23 mai 2024

Don Quichotte de Jules Massenet à l'Opéra Bastille, du 10 mai au 11 juin 2024

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