Carmen, Clémentine Margaine à Berlin

Xl_carmen-deutsche-oper-berlin-margaine-2016a © DR

Une Carmen sexuelle et politique au Deutsche Oper de Berlin ? À la fin de cette production mise en scène par Søren Schuhmacher, rien n’est moins certain. C’est bien plutôt un spectacle de répertoire dans ce qu’il a de plus traditionnel, que l’institution berlinoise nous donne à voir. Toutes les forces de la maison sont de la partie : l’orchestre et le chœur, dirigés par le chef assistant de la formation, Ido Arad, une production qui date de 2009 (c’est à ce jour la 61ème représentation de cette mise en scène dans laquelle a brillé Angelika Kirchschlager) et de nombreux chanteurs qui font partie de la troupe du Deutsche Oper Berlin, dont la Micaela d’Elena Tsallagova et l’Escamillo de Dong-Hwan Lee.


Carmen - Deutsche Oper Berlin


Carmen - Deutsche Oper Berlin

Evidemment, pour ceux qui attendaient un spectacle de Regietheater, le choc n’en est que plus rude. Après l’ouverture, le rideau s’ouvre sur une scène de village andalou, comme il s’en faisait à la fin du dix-neuvième siècle. Aucun détail n’y manque : les brigadiers, en costume moutarde, entrechoquent des verres de vin en attendant des cigarières sorties tout droit d’un roman de la Comtesse de Ségur. Pas de réactualisation ni de lecture des relations entre hommes et femmes, on est ici dans l’espagnolade pure et dure avec poses de matamore et main sur le cœur pour chanter l’amour. On finit par croire à une forme de distanciation critique si ce n’est que le spectacle respire un parfum délicieusement suranné. Bien sûr, avec des dialogues parlés (réduits au strict minimum) qui font entendre un fort accent germanique, le risque est grand de transformer Carmen en « kolossale » opérette.
Mais le professionnalisme des équipes du Deutsche Oper Berlin (DOB) veille à créer un spectacle agréable pour tous d’autant que la musique de Bizet est ici très bien servie. L’Orchestre du DOB témoigne d’une formidable cohésion d’ensemble avec une sonorité des cordes à se damner. Le jeune chef Ido Arad, en dépit de quelques accents martiaux, se montre bel accompagnateur dans les ensembles vocaux, notamment le quintette de l’acte 2. La Maîtrise et le Chœur offrent, quant à eux, une honorable prononciation du français et un investissement scénique satisfaisant.

Vocalement, pour ce Carmen dénué de tension dramatique, les femmes l’emportent sur les hommes. Outre le truculent Dancairo de Jorg Schorner, l’Escamillo de Dong-Hwan Lee se glisse parfaitement dans le côté bande dessinée de la production, avec une voix peu sonore mais d’une jolie musicalité. Meechot Marrero et Annika Schlicht servent pleinement d’écrin à l’héroïne principale dans les rôles de Frasquita et Mercedes.
Quant au trio principal, il reste très inégal. Bien connue des spectateurs de l’Opéra de Paris, Elena Tsallagova séduit durablement en Micaela. Celle qu’on a connue en Renarde ou en inoubliable Mélisande offre une véritable leçon de chant en conférant mystère et fragilité à son personnage lumineux. Le Don Jose de Leonardo Caimi est tout simplement à oublier. Ardent Don Carlo à Bordeaux, le ténor italien est empêtré dans sa diction française, qui l’empêche de faire valoir une voix solaire aux aigus difficiles. Pire, le personnage est falot tout du long, abolissant la dimension passionnelle de l’ouvrage. Avec un tel partenaire, le duo final est condamné à l’insignifiance même si Clémentine Margaine se sort très honorablement du piège tendu par son partenaire. Car la raison principale pour laquelle cette production de Carmen mérite d’être scrutée, c’était bien en réalité l’incarnation du rôle-titre par cette jeune mezzo française qu’on retrouvera en mars dans la production de Calixto Bieito à l’Opéra Bastille. Acclamée en Allemagne et en Amérique du Nord, la chanteuse originaire de Narbonne ne fait pas mentir sa réputation. La voix est d’airain, avec des graves abyssaux. La personnalité séduit également, moins dans le tragique ou le trouble vénéneux que dans l’énergie des danses de l’acte 2. Comme laissée à elle-même, Clémentine Margaine laisse encore passer quelques vulgarités, musicalement et scéniquement, ce qu’une personnalité théâtrale de premier plan comme Bieito saura canaliser. En somme, une Carmen très prometteuse qui pourra exploser aux côtés de Roberto Alagna au printemps prochain. Vivement la Bastille.

Laurent Vilarem
représentation du 17 septembre 2016

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading