Hotel Metamorphosis : Cecilia Bartoli et Barrie Kosky réunissent Ovide et Vivaldi au Festival de Salzbourg

Xl_hotel-metamorphosis-2025-lea-desandre-_echo__-angela-winkler-_orpheus__-il-canto-di-orfeo_-dancers Hotel Metamorphosis © SF / Monika Rittershaus

Venise, la « Sérénissime », sert cette année de fil rouge au Festival de Pentecôte de Salzbourg 2025 placé sous la direction de Cecilia Bartoli. Pour cette édition, en collaboration avec le metteur en scène Barrie Kosky, la cantatrice a imaginé une soirée d'opéra aux allures de pasticcio réunissant le meilleur d'Antonio Vivaldi – grand musicien originaire de la cité lacustre à l'époque baroque. En douze tableaux, quelque quarante-sept « hits » issus du répertoire composé par il Prete rosso (le « Prêtre roux », vraisemblablement qualifié ainsi du fait de sa chevelure rousse) sont associés à des extraits des Métamorphoses du philosophe grec Ovide, dans le cadre d’un véritable opéra-théâtre de plus de quatre heures. Ces différents épisodes classiques traitent des métamorphoses, du destin, de la haine, de la jalousie ou de l'amour, et sont accompagnés musicalement par de grands airs et duos extraits de divers opéras et partitions de Vivaldi. La pratique était courante à l'époque baroque, tout comme l'intégration de scènes de ballet. Le festival renoue ainsi avec une tradition également répandue aujourd’hui dans le monde musical actuel.

Intitulé Hotel Metamorphosis et articulé autour d’un décor évoquant une spacieuse chambre d'hôtel élégante et aseptisée, l’ouvrage met en scène les personnages célèbres de la mythologie et du panthéon grecs, parmi lesquels Pygmalion, Orphée et Eurydice, Myrrha, Narcisse et Écho, ou encore Arachné et Minerve, et dont les destins individuels sont savamment entrelacés. L’entreprise était ambitieuse mais en puisant dans l’univers baroque, Barrie Kosky relève le défi de proposer une soirée d’opéra à la fois divertissante et attrayante. La scène imaginée par Michael Levine est esthétique et éclairée avec autant de sensibilité que d'habileté par Franck Evin. Rocafilm propose régulièrement des vidéos et des projections inventives, comme celle de l'araignée dans sa toile qui se transforme en Arachné. Klaus Bruns présente également une collection de costumes imaginatifs, de l’élégante robe divine aux toges bacchanales pour le chœur et les danseurs. Pour compléter le décor, des peintures baroques des différents personnages servent également d'inspiration à chaque scène. Chaque tableau est accroché au-dessus du lit de la chambre d’hôtel, avant d’être projeté en fin de scène sur un rideau blanc qui se referme lentement.

En guise de trait d'union dans son concept narratif, Barrie Kosky introduit le rôle parlant d'Orphée, qui commente et raconte l’action de chaque tableau. Les chorégraphies d'Otto Pichler renforcent en outre constamment le récit par une pulsation visuelle et rythmique vibrante. Le metteur en scène australien dépeint avec clarté et précision les personnages et leur univers émotionnel, et habille avec brio les héros et dieux classiques de traits modernes.

La soirée offre ainsi un menu aussi somptueux que passionnant, composé de nombreux ingrédients bien assaisonnés de musique, mais jamais ni trop salés ni indigestes malgré la richesse des idées même poussées à l’extrême.

Hotel Metamorphosis (2025) : Lea Desandre (Statua, Myrrha, Echo), Nadezhda Karyazina (Minerva, Nutrice, Juno) © SF / Monika Rittershaus
Hotel Metamorphosis (2025) : Lea Desandre (Statua, Myrrha, Echo), Nadezhda Karyazina (Minerva, Nutrice, Juno) © SF / Monika Rittershaus

Une fois de plus, c’est la musique qui assure la cohésion de l’ensemble et le génie du compositeur vénitien garantit le succès du menu scénique, servi conjointement par d'excellents chanteurs et musiciens. Les Musiciens du Prince Monaco, placés sous la direction de leur chef d'orchestre Gianluca Capuano, et Il Canto di Orfeo, se sont déjà produits à plusieurs reprises à Salzbourg ces dernières années. Une étroite collaboration internationale lie les deux ensembles, sous l'égide de leur directrice artistique Cecilia Bartoli. Gianluca Capuano est considéré comme un fin connaisseur de musique ancienne et c’est à ce titre qu’il a fondé les deux ensembles pour en faire des spécialistes de l’interprétation d’œuvres baroques.

L'orchestre joue de façon enlevée et avec vivacité, les instruments d’époque produisent des sonorités douces et feutrées, révélant ponctuellement les difficultés de l’exécution. L'univers sonore est coloré, les nombreux instruments à cordes baroques accompagnent harmonieusement les voix. Le tempo oscille entre gaieté et solennité, se faisant parfois lugubre pour mieux souligner les mélodies mélancoliques évoquant la mort et le deuil. Les ambiances naturelles, très appréciées à l'époque baroque, sont restituées de façon très vivante. Impulsif et limpide, parfois austère et imposant, Gianluca Capuano reste toujours en phase avec l’action.

Hotel Metamorphosis (2025) : Philippe Jaroussky (Pygmalion) © SF / Monika Rittershaus
Hotel Metamorphosis (2025) : Philippe Jaroussky (Pygmalion) © SF / Monika Rittershaus

La directrice artistique elle-même ravit son public avec toute la théâtralité qu’on lui connait. Cecilia Bartoli dissimule habilement une certaine fatigue vocale avec des nuances particulièrement expressives. Et dans les rôles d'Eurydice et d'Arachné, elle incarne brillamment les deux femmes au caractère très différent.

Lea Desandre séduit également par sa polyvalence et une voix de soprano aux multiples facettes. Elle suscite le même enthousiasme du public sous les traits de Myrrha, jeune femme trop belle maudite par Aphrodite qui la pousse à nourrir un amour incestueux pour son père et de sombrer dans la folie, ou dans le rôle d'Écho, jeune femme naïve, coquette et enjouée... Nadezhda Karyazina, déjà couronnée de succès à Salzbourg à Pâques, convainc à nouveau dans les rôles de Minerve (enragée), de Nutrice (amie sensible), ou de la déesse Junon, grâce à un mezzo-soprano flexible et polyvalent. Dans le rôle de l’austère sculpteur Pygmalion qui tombe amoureux de son œuvre, ou de Narcisse effrayé, Philippe Jaroussky atteint de vrais sommets baroques dans les deux rôles grâce à une voix de tête sûre, pleine et parfaitement maîtrisée. Narratrice de l’action restant sur scène tout au long de la soirée, la comédienne Angela Winkler campe un Orphée magnifique, captivant le public de sa voix (amplifiée) à la diction claire et articulée.

Au terme de la représentation, le public enthousiaste réserve une longue ovation debout à tous les artistes ayant fait la démonstration qu’on peut créer du neuf à partir de l’ancien.

traduction libre de la chronique en allemand d'Helmut Pitsch
Salzbourg, 6 juin 2025

Hotel Metamorphosis au Festival de Pentecôte de Salzbourg, les 6 et 8 juin 2025

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading