Une Norma extraordinaire au Festival de Salzbourg

Xl_xl_norma_probenfoto_cecilia_bartoli_c_hans_joerg_michel_0 © DR Hans Joerg Michel

Cecilia Bartoli n’est pas de ces interprètes que le public a pour habitude d’entendre dans le rôle de Norma. La Scintilla n’est pas non plus le genre d’orchestre auquel nous sommes habitués, et la mise en scène que le duo Biondi / Minasi signe à l’occasion de cette production réserve également de nombreuses surprise, même pour les aficionados de Bellini les plus aguerris. Et s’il est audacieux de réinterpréter la musique d’un opéra si populaire, ce projet a manifestement été soigneusement étudié et mis en place. Entre les mains d’une distribution incroyablement talentueuse et d’une équipe scénique particulièrement réfléchie, cette production du Festival de Salzbourg convainc assurément.

L’action est transposée dans la France occupée de la Seconde guerre mondiale, dans une école transformée en base pour les membres de la résistance. Les nombreuses références druidiques du livret ne respectent pas le contexte original, mais s’intègrent néanmoins à la trame. Les résistants ont aussi leurs rituels et dégagent un certain esprit de spiritualité, et la réelle trahison d’Adalgisa et de Norma est bien politique et non religieuse. Cette nouvelle mise en scène ajoute une spontanéité à l'émotion immédiate de l’opéra : il est plus aisé de sympathiser et de s’identifier aux Français qui haïssent des nazis qu’avec des druides qui haïssent des Romains.

Mais peu importe, presque tous les décors du monde seraient efficaces portés une musique si superbe. L’ensemble de La Scintilla dévoile un son léger et sensible. Sous la baguette de Giovanni Antonini, l’ensemble est toujours en rythme et de concert avec les chanteurs. Le chœur de la Radiotelevisione Svizzera est parfaitement équilibré et homogène. Etonnamment pour un ensemble qui n’interprète habituellement pas d’opéras, il s’en montre ici un acteur parfait. Leur belle et douce restitution de la troisième section « Guerra, guerra ! » (trop rarement entendue) est particulièrement touchante.

Mais Cecilia Bartoli est la véritable révélation de la soirée. Le public aujourd’hui est davantage habitué à entendre des sopranos drama verdiennes et wagnériennes dans le rôle de Norma. Ici, le son léger de l’orchestre et la petite taille (relative) de la salle permettent néanmoins à cette production de mieux faire correspondre les voix de la version originale de l’œuvre avec celles des chanteurs présents ici. La colorature très claire, précise et scintillante de Cecilia Bartoli rappelle que Norma appartient au répertoire lyrique des chanteurs du bel canto. Et son statut de mezzo est assez inhabituel pour le rôle – elle le prouve avec la richesse et la force peu commune de son interprétation des notes moyennes et basses mais tout en capable de tenir les notes hautes aussi bien que n’importe quelle soprano, avec une agilité et la capacité à hurler ou à laisser flotter les notes élevées à volonté. Bartoli impressionne plus encore par sa vitesse et sa maestria dans le grand air de « Casta Diva ». Son ton chaleureux, d’un lyrisme intense, allié à son jeu d’actrice tout en nuance, font des airs pour le moins ostentatoires « Dormono entrambi » et « Deh ! Non volerli vittime » les scènes les plus émouvantes de l’opéra.

Le reste de la distribution est tout autant composé de chanteurs qu’on a peu coutume de voir dans ces rôles, mais qui les chantent pourtant parfaitement. John Osborn chante Pollione avec la voix d’un ténor classique rossinien — lumineux, doté d’une facilité et d’une fluidité dans les phrases longues. Son sarcasme impitoyable de la première scène le rend derechef peu sympathique, mais son désespoir à la fin lui assure l’adhésion du public. Adalgisa est chantée par Rebeca Olvera, une soprano qui (en accord avec le texte) semble et sonne bien plus jeune que Bartoli. Sa légèreté et sa douceur de ton correspondent à la jeunesse de son personnage empli d’innocence. Sa voix et celle de Bartoli s’accordent remarquablement bien malgré leurs différentes textures.  En Oroveso, Michele Pertusi chante d’une voix pleine et caverneuse, et dévoile une détresse poignante envers la trahison et la mort de sa fille.

Alors que l’école s’embrase dans les flammes (dans une série d’effets pyrotechniques impressionnants), on est alors nécessairement confronté à la saisissante fin de cette tragédie. Mais c’est aussi à regret  — dans la mesure où l’on pourrait écouter avec grand plaisir ces chanteurs et cet orchestre encore de nombreuses heures.


Ilana Walder

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading