Des Contes d'Hoffmann poétiques et féériques à l'Opéra de Lyon

Xl_2025_contes_hoffmann_g_c_paul_bourdrel_hd_008 © Paul Bourdrel

Les Contes d’Hoffmann font partie de ces œuvres que les connaisseurs ont généralement vues et revues. Quant aux professionnels, la plupart ne compte plus le nombre de représentations auxquelles ils ont assistées au fil des saisons. Néanmoins demeure toujours une partie du public à ne pas oublier qui, elle, l’entend pour la première fois. Difficile alors de proposer une vision prenant en compte l’ensemble de ces spectateurs, à la fois originale mais sans décevoir l’attente de la découverte. C’est pourtant le pari tenu par Damiano Michieletto pour cette fin d’année à l’Opéra national de Lyon.

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Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

Le metteur en scène propose un spectacle visuel dont l’ouverture se fait sur une scène verte où les personnages nous plongent presque dans un univers féérique aux échos d’Un songe d’une nuit d’été. Loin d’une mise en scène psychologique édulcorée dans ses décors, ces Contes d’Hoffmann sont, sur le plan esthétique, l’une des productions les plus riches de Damiano Michieletto (selon ses propres mots).


Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

Dans la caverne, nous découvrons un vieil Hoffmann dont la tenue peut laisser penser qu’il ne couche pas dans un lit chaud toutes les nuits. Ainsi, de manière très visuelle, nous le suivons dans ses souvenirs au fil de ses différents âges : d’abord enfant, dans une salle de classe en tenu d’écolier, rajeuni, avec Olympia. Ici, l’automate devient une élève modèle, savante, capable de calculs impressionnants. L’amour est enfantin, naïf, innocent. De même, la réaction des camarades de classe se fait avec toute la cruauté de bambins ne voyant pas le mal qu’ils font, affublant Hoffmann d’un bonnet d’âne.


Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

Puis jeune homme, nous retrouvons le poète dans une école de danse pour ses amours avec Antonia. Ici, la femme ne rêve pas de chant mais de danse malgré ses béquilles et son fauteuil. Son mal est ainsi rendu plus visible, tandis que le fantôme de sa mère danse avec le sien, alors petite fille. Nous sommes alors bien loin du troisième tableau : le héros y est adulte dans un univers plus érotique et luxueux aux côtés de Giulietta. Foule masquée, torse nu, chic et glamour se côtoient dans cette sorte de club où l’amour n’est qu’illusion. L’éclairage apporte des couleurs propres à chaque souvenir, marquant visuellement le spectacle.


Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

Pour traverser ces souvenirs, la Muse sort de son sac aux airs de Mary Poppins un perroquet, Nicklausse, incarné sur scène par une soliste différente. Distinguer les deux personnages leur confère davantage d’existence. La Muse vient par exemple souffler des paillettes avant chaque tableau, comme pour inspirer l’artiste dans ses élucubrations. Nicklausse, pour sa part, s’en trouve plus légère.


Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

Nous revenons finalement au temps présent, face au vieillard, dans cette taverne atemporelle où chœur et Diable se moquent de lui – en se grimant en Stella pour ce dernier. Toutefois, l’imaginaire vainc la moquerie et ce n’est pas seul mais entouré de la multitude des êtres aperçus lors de ce voyage dans son esprit : souris, personnages féériques, danseurs classiques... Le tout dans un bal de fantômes du passé, tandis que La Muse range son perroquet dans son sac face à un Diable dépité.

Scéniquement et vocalement, on se réjouit d’enfin voir trois noms distincts pour incarner les trois amantes d’Hoffmann. Ici, trois femmes en une ne veut pas dire qu’une seule doit interpréter les trois. Eva Langeland Gjerde – issue de l’actuel Studio de l’Opéra – est une Olympia aux rouages impeccables pour une interprétation lisse d’automate, mais davantage d’impression « mécanique » serait bienvenue. Amina Edris incarne pour sa part la fragile Antonia, poignante et rebelle, dont la voix reflète sa force et ses faiblesses. Quant à Clémentine Margaine, elle est un luxe en Giulietta, séductrice, maîtresse des hommes mais au service du Diable, servie par une ligne chatoyantes aux reflets luxuriants. On salue pour les trois cantatrices un jeu particulièrement convaincant, mais aussi une prononciation impeccable.


Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

Ces derniers points se retrouvent par ailleurs chez l’ensemble des interprètes, à commencer par le rôle-titre sous les traits d’Iván Ayón-Rivas, dont la voix charnue, projetée avec force – parfois peut-être un peu trop –, se déploie dans la salle pour y déverses ses couleurs miroitantes. Son Hoffmann nous emporte vocalement et scéniquement, déployant son imagination et sa poésie à travers sa partition.

Habitué de la scène lyonnaise, Marko Mimica est un véritable caméléon se fondant dans les mises en scène au point de faire oublier l’homme derrière les personnages. Sa voix profonde, noble, confère au Diable (Lindorf / Coppellius / Docteur Miracle / Dapertutto) une énergie puissante, écrasante, sans devenir gratuitement lugubre. Il est l’ombre qui se déploie, immense, vaporeuse et pourtant palpable. Vincent Ordonneau incarne de son côté ses différents « valets » (Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio) avec moins d’assurance mais beaucoup de plaisir, tandis que François Piolino est un Spalanzani fort bien incarné.


Les Contes d'Hoffmann - Opéra national de Lyon (2025-2026) © Paul Bourdrel

En Muse et Voix de la mère, Jenny Anne Flory – également issue du Studio – nous régale de son côté « bonbon », offrant douceurs sucrées qui glissent avec plaisir dans notre oreille. Sa créature, Nicklausse, est incarnée par Victoria Karkacheva, dont le rôle peut manquer de consistance sur l’ensemble de la soirée, s’effaçant quelque peu au profit de la lecture globale proposée par le metteur en scène.

Une mention particulière pour le Crespel de Vincent Le Texier, terriblement touchant, déchirant, d’une justesse implacable. Le chant assuré traduit la terrible fêlure, l’inquiétude paternelle, la colère de l’époux face à ce médecin charlatan, mêlant le tout pour un portrait marquant.

Les comprimari, issus du Studio pour Filip Varik (Nathanaël), Alexander de Jong (Hermann/Schlemil) et Hugo Santos (Luther), du chœur pour Paul-Henry Vila (La Harpe) ne déméritent pas.

Dans la fosse, Emmanuel Villaume – qui cèdera la baguette à Charlotte Corderoy pour les dates en janvier – entraîne le formidable Orchestre de l’Opéra de Lyon dans un dynamise communicatif en ouverture de soirée, nous glissant entre tragédie d’amours déchus, perdus, morts, manipulations, mais aussi poésie, imaginaire, farce. Tout comme la scène, il se colore, nous fait voguer au cœur de l’âme du poète, se teinte de ses pensées, des intentions de chacun. Quant au chœur de l’Opéra (dirigé par Benedict Kearns), a-t-on encore besoin de souligner son excellence ? D’une unité, d’un équilibre exemplaires, il réjouit à chacune de ses interventions, donnant à entendre un texte parfaitement prononcé sans décalage entre les membres de ce tout unique.

Pour cette fin d’année, Damiano Michieletto offre une vision à la fois intelligente et divertissante, pouvant ravir un public connaisseur ou néophyte. L’imaginaire laisse place à quelques notes magiques, les fantômes passés se mêlent au présent, portés par une distribution impeccable, réjouissante. C’est finalement un très beau cadeau qu’offre l’Opéra de Lyon à ses spectateurs, présents en nombre et ravis au vu des chaleureux applaudissements engendrés par la production.

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