Un Jules César mémorable pour l'anniversaire d'Ambronay

Xl_thumbnail__dsc4464_c_rousset_talens_lyriques_j_cesar_haendel_fest_amb_28092019___bertrand_pichene-ccr_ambronay © Bertrand_PICHENE-CCR_Ambronay

Outre le récital de Stéphanie d’Oustrac, le troisième weekend des 40 ans du festival d’Ambronay proposait également une version de concert de Giulio Cesare de Haendel. Pour cette occasion, c’est un plateau cinq étoiles qui a été réuni autour de Christophe Rousset et de ses Talens Lyriques, offrant une soirée qui, disons-le tout de suite, fut superbe de bout en bout.


Christophe Rousset ; © Bertrand Pichene-CCR_Ambronay

Karina Gauvin et Les Talens Lyriques ; © Bertrand Pichene-CCR_Ambronay

L’univers baroque semble n’avoir plus aucun secret pour le chef d’orchestre qui dirige une fois de plus avec maestria la partition, faisant surgir le riche panel de couleurs, d’émotions et de significations qui y sont présentes. Sous son impulsion, l’ensemble passe du chaud au froid dans une unité et une cohérence qui sont attachées à l’excellence qu’on lui connaît. Accompagnateur et porteur lors des récitatifs comme des arias, il devient une voix à part entière dans les parties instrumentales, à la fois mer déchaînée dans les passions tonitruantes, souffle héroïque dans les appels vengeurs et souffle de douceur pour les douleurs plus intimes. Une nouvelle fois, Christophe Rousset se montre d’une écoute exemplaire, habitant et habité par la musique qu’il fait naître du bout de ses doigts, tant au clavecin qu’à la direction.

Toutefois, aussi exceptionnelle soit la qualité de l’orchestre, un opéra – d’autant plus d’une telle durée – ne saurait tenir debout sans un plateau à la hauteur. Ainsi que le veut l’adage, « rendons à César ce qui est à César » et commençons donc par lui, ici sous les traits du contre-ténor Christopher Lowrey qui offre la souplesse de son timbre et son caractère lumineux à un empereur plus amoureux qu’impérial, sans pour autant manquer de hardiesse. Si les graves manquent parfois un peu de force – ce qui est le lot des contre-ténors en général – les trilles sont quant à elles exemplaires. Face à lui, Cléopâtre est interprétée par une Karina Gauvin en pleine forme. La soprano embrasse le personnage de femme politique au fort caractère sans jamais omettre une sensualité au service de ses intérêts royaux, auquel s’ajoute celui, feint, de Lydie. Dupant les autres personnages mais jamais le public, elle parvient à couvrir l’ensemble du spectre tant vocal que psychologique de la reine d'Egypte.

Il faut bien admettre que le public succombe aussi à d’autres charmes : ceux d’Eve-Maud Hubeaux, Cornélie superbe et charismatique. Après nous avoir ensorcelés en Brangäne puis en Eboli à Lyon en 2017 et 2018, elle renouvelle l’exploit, se montrant ainsi tout autant à l’aise vocalement dans le chant wagnérien que dans le grand opéra français ou dans l’univers baroque. La force de projection est bluffante, de même que la présence scénique ou la prononciation, tandis que le timbre particulièrement profond et la ligne de chant parfaitement maîtrisée confère à son personnage une solidité à toute épreuve sans pour autant nier les fêlures et blessures qui le composent. Veuve blessée au cœur, mère aimante et femme appelant la vengeance, ses apparitions sont toujours très attendues, y compris aux côtés de son fils Sextus, Ann Hallenberg. Les deux cantatrices offrent d’ailleurs un très beau moment lors de leur duo au final de l’acte I, le célèbre « Son nata a lagrimar », les deux voix se mariant à merveille. La mezzo-soprano suédoise, au timbre plus lumineux et plus haut que la canadienne (sans pour autant ne pas posséder de très beaux graves), est ainsi un Sextus de premier choix, impétueux de jeunesse, assoiffé d’une vengeance légitime, aux élans puissants et à la ligne de chant dont la clarté reflète le caractère juvénile du jeune homme.

Face à eux,  les terribles traîtres sans qui il n’y aurait point de tragédie. Le premier d’entre eux (au moins dans l’ordre d’apparition) est l’Achille de la basse Ashley Riches, sombre sans pour autant jamais plonger totalement dans les ténèbres, laissant poindre la blessure de l’amoureux éconduit avant que ne surgisse la colère du traître trahi – tragique « arroseur arrosé » – lorsque Ptolémée lui révèle que, contrairement à sa promesse, il ne lui laissera pas Cornélie dont il est épris. Le contre-ténor Kacper Szelążek tient cet ultime rôle et lui prête sa folie et des névroses qui transparaissent dans l’interprétation. La technique ne faillit pas et c’est un personnage sans empathie, si ce n’est pour lui-même, qui nous est livré agrémenté de haine envers sa sœur – et finalement envers tout le monde –. Ajoutons que le chœur, très peu présent dans l’œuvre, est remplacé par l’ensemble des solistes sans que cela ne gène en quoi que ce soit.

Au final, nous avons assisté ce soir à un Giulio Cesare d’anthologie que nous rêvons de voir un jour porté au disque. Ceci n’étant semble-t-il pas prévu pour le moment, nous prendrons un plaisir non dissimulé à nous tenir près de la radio afin d’en écouter la retransmission sur France Musique, normalement prévu le 2 novembre à 20h. Et nous ne saurons que trop vous inviter à nous rejoindre dans ce public épars! 

Elodie Martinez
(
Ambronay, le 28 septembre)

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