Krzysztof Warlikowski et De la maison des morts arrivent à l'Opéra de Lyon

Xl_operadelamaisondesmorts08 © Bertrand Stofleth

Actuellement, l’Opéra de Lyon donne le dernier opéra de Leoš Janáček, De la maison des morts, inspiré de l’œuvre de Fiodor Dostoïevski et composé entre 1927 et 1928. Ici, il n’y a pas réellement d’histoire ou de récit linéaire, mais plutôt diverses histoires qui cohabitent dans ce camp pénitentiaire. Il n’est alors pas aisé de mettre en scène une telle œuvre, et c’est vers Krzysztof Warlikowski que s’est tournée la maison lyonnaise, en coproduction avec la Royal Opera House de Londres où notre collègue anglais avait pu y assister la saison dernière, et la Monnaie de Bruxelles où elle a été donnée un petit peu plus tôt cette saison, en novembre.

Le metteur en scène est réputé pour créer l’événement, et sa première venue à Lyon en était déjà un à part entière. Son travail divise souvent le public, et que l’on adore ou que l’on déteste, on reste rarement indifférent. Difficile toutefois de qualifier ce De la maison des Morts de « grand Warlikowski » : le travail est certes intéressant, mais nous avons été habitué à mieux et à des réactions plus poussées de sa part. La réflexion du metteur en scène se porte ici sur la question de justice, au sens d’institution, des conséquences réparatrice ou non de la prison sur un individu, et de la mort aussi, bien sûr, mais à la fois comme grand mystère et comme libération. La soirée débute d’ailleurs par la question suivante : « Et pour vous, quelle est la fonction des juges dans la sociétés ? » La clef est donc rapidement donnée, et le spectateur peut difficilement se perdre. Suit un extrait vidéo, comme Warlikowski aime le faire, sur la réponse apportée par Michel Foucauld (dont on retrouvera des citations durant la soirée). Seul bémol sur ce procédé, réitéré entre les actes avec notamment le témoignage d’un homme sur sa vision de la mort à laquelle il pense chaque jour : la position des sous-titres du film au bas de l'écran qui coupe la visibilité pour certains spectateurs gênés par des têtes…


Nicky Spence (le Grand Forçat) et le jeune basketteur; © Bertrand Stofleth

De la maison des Morts, Opéra de Lyon; © Bertrand Stofleth

Sur scène, nous plongeons dans une cour ou un gymnase carcérale surplombé d’un couloir vitré rappelant qu’ils sont étroitement surveillés. Un ensemble de danseurs de hip-hop, rappelant ceux devant l’opéra de Lyon dont les désormais célèbres pokémon crew, danse les uns après les autres sur la musique de Janacek. Un jeune homme joue au basket et devient l’Aigle du livret, blessé ici par le Grand Forçat, un Nicky Spence en grande forme tant vocalement que dans son interprétation scénique. L’envol final de l’oiseau sera pour sa part transformé en guérison du jeune homme se levant de son fauteuil pour recommencer à jouer tandis qu’un autre gravira l’une des tours métalliques. Sorte de « cage dans la cage », une pièce rectangulaire, dont deux côtés seulement sont opaques, joue tour-à-tour le rôle de bureau du directeur, de scène lors du spectacle donné à l’acte II, ou encore de sorte de préau de la cour. Le mur en fond de scène est tagué, le portrait d’un homme se distinguant, tout est gris et morne dans ce décor signé Malgorzata Szczęśniak, rien ne sort véritablement du lot, de même que les personnages qui forment une foule sans héros particulier, bien que l’opéra débute avec l’entrée d’Alexandr Petrovič Gorjančikov (Sir Willard White) et se termine avec sa remise en liberté. Face à ce grand nombre d’hommes prenant chacun la parole, il est aisé de se perdre, n’ayant que peu de lien entre eux, voire pas du tout pour certains. Bien que lisible, la mise en scène manque d’un certain liant, mais l’œuvre n’est pas là non plus pour aider.

Musicalement, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est à nouveau porté à un haut niveau par le chef Alejo Pérez qui fait cependant parfois ressentir la fosse au détriment de la scène. Le Chœur, relativement discret, accompagne intelligemment et de manière homogène les nuances de la partition et l’ensemble des protagonistes. Outre l’émouvant Sir Willard White et l’imposant Nicky Spence, la distribution comprend l’Alieïa de Pascal Charbonneau, habité par son personnage et excellent comédien dont la voix de ténor permet de se faire entendre, le Louka/Filka de Stefan Margita, fou, agaçant, dont la voix se fatigue pour sa part au cours de la soirée sans pour autant affecter le jeu excellent du chanteur. Notons également Karoly Szemeredy qui est Chichkov, le personnage disposant de la plus longue partition dans laquelle nous le suivons sans peine parmi ses graves suaves et un souffle qui ne s’étiole pas. Alexander Vassiliev est pour sa part un commandant sans grande envergure à la projection moyenne, tandis que Ladislav Elgr est un beau Skouratov et que Natascha Petrinsky, unique personnage féminin, offre une belle voix bien projetée et ronde en plus d’un jeu bien maîtrisé. Le vieux forçat de Graham Clark est quelque peu fatigué, mais le petit forçat /Tchekounov d’Ivan Ludlow offre un phrasé percutant. Enfin, bien que l’ensemble des personnages restant ne faillisse pas, notons encore le Chapkine de Dmitry Golovnin à la voix vigoureuse et bien placée.

L’Opéra de Lyon offre ainsi une belle production, donnant lieu à une réflexion ouverte sur bien des questions que chacun peut poursuivre en rentrant chez lui. Le public a d’ailleurs bien accueilli cette dernière, contrairement à ce que pouvait laisser penser la mine triste, fermée et mécontente de Krzysztof Warlikowski au moment des saluts.

Elodie Martinez
(Lyon, le 21 janvier 2019)

De la maison des morts, Opéra national de Lyon, jusqu'au 2 février.

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