Bruno de Sá au festival d'Ambronay : une voix fascinante

Xl__dsc6787_dxo © Bertrand Pichène

Bien qu’endeuillé par le décès brutal d’Alejandro Meerapfel la veille au soir, le festival d’Ambronay s’est poursuivi samedi, exprimant la force de la musique et son pouvoir rassembleur. Après quelques mots rapidement prononcés en prémices du spectacle, nous nous retrouvions donc devant cette même scène pour un récital en compagnie de Bruno de Sá (que nous rencontrions en août 2022), Dorothee Oberlinger et l’ensemble 1700.

On se souvient de la voix (au disque) de Samuel Mariño, qui se qualifie de « soprano masculin ». À Ambronay, Bruno de Sá opte pour « sopraniste », sans aucune connotation négative. Il est vrai qu’à peine la première note est-elle projetée que l’on comprend tout de suite que le terme n’est pas employé à la légère. Loin d’une voix de contre-ténor éthérée, c’est une ligne de chant et un timbre particulier, propres au soprano, qui se déversent dans l’abbaye d’Ambronay. Le vibrato du jeune brésilien s’avère maîtrisé et sans excès, ajusté au chant. La puissance de la projection a parfois de quoi impressionner par son naturel, de même que la longueur du souffle, comme dans « Ombra mai fu » de Xerse de Bononcini. La voix fascine, même dans les notes plus graves qui se distinguent elles aussi particulièrement de celles d’un contre-ténor – où le caractère de la voix masculine a tendance à ressortir, contrairement au cas présent. A la fois légère et puissante, fragile et solide, le chant de Bruno de Sá nous happe dans ce programme baroque mêlant Scarlatti, Haendel, Bononcini, Alessandro Marcello, Barsanti et Corelli. Toutefois, la soirée n’est pas sans faille : à quelques reprises, la note d’attaque n’est pas totalement émise, et une ou deux autres déraillent de manière imperceptible. Rien de grave, surtout dans ces conditions un peu particulières ainsi peut-être aussi de la fatigue, et ce que l’on retient de la soirée – de même que le public – est cette voix exceptionnelle qui a su faire vibrer la salle jusqu’à la fin de la soirée.


© Bertrand Pichène

Toutefois, le programme mettait aussi en avant – au moins autant que Bruno de Sá – la flûtiste et cheffe de l’ensemble 1700, Dorothee Oberlinger. N’hésitant pas à arranger plusieurs des œuvres présentées, comme le concerto pour orgue de Haendel ou le concert pour hautbois de Marcello, la flûte se livre de multiples manières sous les doigts habiles, agiles et parfois extrêmement rapides de la musicienne. Celle-ci en profite pour montrer à quel point cet instrument banalisé par l’Enseignement peut se révéler à la hauteur de n’importe quel autre, et surtout à quel point sa famille est grande, de la basse à la soprano. C’est à un vrai duo que la voix et la flûte se livrent dans ce programme, mettant tantôt l’une, tantôt l’autre en avant, mais parfois aussi les deux ensemble. On assiste alors à de formidables moments complices, auxquels participe également l’ensemble 1700. S’il est un soutien indéfectible, il est aussi et surtout une source de réels plaisirs musicaux par son homogénéité et son l’équilibre des instruments à l’écoute des uns des autres. Ici, la virtuosité n’est pas au singulier, et c’est ainsi que l’on obtient une musique qui prend tellement vie qu’elle en obtient une douceur câline. Finalement, c’est par « Tu del ciel ministro eletto » (Il Trionfo del tempo e del disinganno) que se conclue la soirée. Du moins, jusqu’aux bis de Haendel et la reprise, face à l’insistance du public, d’« Ombra mai fu ».

Un succès mérité, et un moment de plaisirs et de beauté partagé à nouveau au festival d’Ambronay, après la tragédie de la veille sur cette même scène. L’occasion précieuse également d’entendre une voix de sopraniste – ou soprano masculin – encore peu connue du grand public, mais que l’on espère voir et entendre davantage durant les années à venir, même si ce type de voix demeure exceptionnel. C’est sans doute ce qui en fait aussi la grande beauté.

Elodie Martinez
(Ambronay, le 23 septembre 2023)

Récital de Bruno de Sá au festival d'Ambronay le 23 septembre 2023.

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