A Lyon, un "I was looking at the ceiling" un peu longuet

Xl_photos_i_was_looking_copyright_blandine_soulage__9_ © Blandine Soulage

Entre sa Tosca et son festival qui approchent à grands pas, l’Opéra de Lyon propose en partenariat avec le Théâtre de la Croix-Rousse (où la production est donnée) I was looking at the ceiling and then I saw the sky de John Adams. La mise en scène a été confiée à Eugen Jebeleanu qui fait ainsi ses premiers pas dans l’opéra – en marge du genre, puisqu'il s'agit là d’un opéra plutôt pop / rock / variété, bien loin du répertoire classique.

Composée en 1995, cette « pièce chantée en deux actes » base son livret sur le tremblement de terre qui a eu lieu à Los Angeles en 1994 et met en scène sept personnages aux origines et mœurs diverses. Seulement voilà : « l’avant séisme » paraît ici terriblement long, et le tremblement de terre qui est normalement l’élément central n’est finalement qu’un élément perturbateur dans la longue peinture de la société qui est faite ici. Si, pour certaines œuvres, on a parfois l’impression que l’histoire principale manque d’histoires la parsemant et la nourrissant, c’est ici finalement l’inverse. Bien que l’intérêt soit réel, on s’ennuie parfois au milieu de ces stéréotypes assumés et l’on ne ressent pas l’humour sensé être présent dans le livret (il faudra se contenter de la distribution de préservatifs par l’une des chanteuse habillée en Vierge). Néanmoins, les différentes influences musicales, les liens entre livret et musique – comme la digression instrumentale qui reflète celle de la plaidoierie – ou simplement certaines pages restent d’excellents moments que l’on savoure. Parmi eux, véritable moment de grâce, la « Song about the bad boys and the news » (« For days I been dreaming 'bout changing the news ») chantée en partie a cappella.


I was looking at the ceiling…, Opéra de Lyon/Théâtre de la Croix-Rousse ;
© Blandine Soulage

Avec un tel matériau de départ, Eugen Jebeleanu s’en tire plutôt bien. Il divise la scène en plusieurs espaces, éclatés façon pop mais en corrélation les uns avec les autres. Côté jardin, une croix et des chaises nous amènent dans une église alors qu’à l’opposé, avec un drapeau américain et un pupitre, nous sommes dans un tribunal. Justice et religion encadrent donc l’espace. L’avant-scène est neutre, mais derrière, un grand rectangle offre son étage inférieur jaune à l’orchestre, tandis qu’au-dessus trois pièces sont côte-à-côte : une chambre verte remplie de plantes, une chambre rose avec la peinture d’un homme (principalement, un lieu de débauche et de sexe, nous y verrons un hommes se masturber, un couple faire l’amour, ou encore un acte qui semble finir en viol juste avant le tremblement de terre), et une salle de bain blanche. Les personnages ne sont pas cloisonnés à un lieu distinct, marquant les liens plus ou moins indirects qui les unissent ou uniront. Les premiers instants font un peu peur : les personnages entrent et restent statiques, fixant devant eux – une position que l’on retrouvera à la fin lorsque la chanson d’ouverture est reprise en clôture – alors qu’un trop plein de petites actions suivront, perdant l’œil du spectateur. En effet, chacune des pièces décrites plus haut renferme une saynètes tandis qu’une autre se déroule sur l’avant-scène simultanément et que les surtitres défilent. Heureusement, cela se calme ensuite, peut-être un petit peu trop durant les longueurs de l’œuvre où cette accumulation scénique aurait été une solution possible. Au final, malgré un travail de mise en scène globalement satisfaisant – notamment pour l'action du tremblement de terre avec quelques gravas, chien renifleur, écroulement de la croix et du drapeau – les connexions entre les personnages, pourtant existantes et assez facilement visibles, ne se ressentent pas. Peut-être est-ce simplement cela qu’il manque ce soir : un « feeling ».


Axelle Fanyo (Leila), Clémence Poussin (Consuelo) et
Louise Kuyvenhoven (Tiffany) ; © Blandine Soulage

Côté voix, l'ensemble des interprètes parvient à s'adapter dans ce chant particulier, entre opéra et rock / variété / blues / etc. Le trio a capella cité plus haut pour la chanson des nouvelles et des mauvais garçons est absolument superbe – formé d’Axelle Fanyo (Leila), Clémence Poussin (Consuelo), déjà entendue dans L'Enfant et les Sortilèges, et Louise Kuyvenhoven (Tiffany). L’équilibre des voix ainsi que l’écoute entre les interprètes sont à relever, malgré l’appui de l’amplification afin de pouvoir passer au-dessus des instruments, comme la batterie, les guitares électriques ou encore les synthétiseurs. Christian Joel offre de son côté au prêtre / pasteur David une belle voix grave qui parvient à monter dans les aigus, faisant ainsi penser aux barytons ayant la possibilité des contre-ténors. Axelle Fanyo apporte elle aussi une certaine gravité empreinte de soul à Leila, tandis que Louise Kuyvenhoven apporte une Tiffany tantôt perdue, tantôt délatrice à sa moitié Mike, Aaron O’Hare. Il tient un rôle peu facile : Américain « de base », policier arrêtant un Noir dont il gonfle le « crime », homophobe et violent car refusant sa propre homosexualité. Biao Li incarne de son côté un homme d’origine vietnamienne, issu de l’immigration et ayant réussi, gay, donc forcément en chaussures à talon, renforçant gratuitement les clichés. Il en va de même avec la Consuelo de Clémence Poussin, immigrée mexicaine – ou du moins hispanophone – avec un enfant retenu par les autorités et faisant des ménages. Enfin, le Dewain d’Alban Zachary Legos, petit délinquant, laisse entendre un timbre solaire qui ne peut que particulièrement briller dans son premier air solo, « I got sunlight ». Vincent Renaud dirige pour sa part la dizaine de musiciens en parvenant à dégager les différents courants musicaux présents dans la partition, s’y adaptant tout en restant à l’écoute de chacun.

Au final, on retiendra certes quelques moments d’ennui au cours de la soirée malgré une distribution intéressante et très investie,  mais aussi de très beaux passages qui, heureusement, restent eux aussi en mémoire.

Elodie Martinez

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