L’Opéra de Munich possédé par Les Diables de Loudun de Penderecki

Xl_die_teufel_von_loudun_2022_c_w.hoesl__2 © (c) Wilfried Hösl

Est-ce le début de la résurrection des Diables de Loudun ? L’opéra de Krzysztof Penderecki, qui raconte via un roman de Huxley l’histoire des possédées de Loudun à l’époque de Richelieu, était resté rare sur les scènes lyriques, peu aidé à vrai dire par le triste film de télévision qui avait été tourné à l’époque de la création en 1969. L’Opéra de Munich n’a lui-même pas de chance avec cette nouvelle production : deux des quatre représentations ont dû être annulées pour cause de Covid, et cette dernière est la seule qui affiche enfin, comme prévu, Wolfgang Koch dans le rôle central. Ces Diables sont bien de leur temps : la violence de ce qui est montré (la torture comme si vous y étiez), la violence des sentiments, la violence de l’oppression politique trouvent leur traduction dans la musique, beaucoup moins, à vrai dire, dans la mise en scène de Simon Stone.

Die Teufel von Loudun, Bayerische Staatsoper 2022 (c) Wilfried Hösl

Die Teufel von Loudun, Bayerische Staatsoper 2022 (c) Wilfried Hösl

Die Teufel von Loudun, Bayerische Staatsoper 2022 (c) Wilfried Hösl

Die Teufel von Loudun, Bayerische Staatsoper 2022 (c) Wilfried Hösl

Au cœur de celle-ci se trouve, comme toujours avec lui, une scène tournante, cette fois une de ces froides architectures cubiques comme on en construit aujourd’hui en série, aussi bien pour un collège que pour un hôpital, voire, pourquoi pas, une église ou une prison. La scène tournante tourne beaucoup, pour révéler justement un lieu de culte ou une cellule de torture, mais l’essentiel de l’action se passe hors de ce cube monumental, sur ce qui reste d’espace scénique. Pour sa mise en scène de La Ville morte, Simon Stone s’appuyait sur un décor (de Ralph Myers) surchargé de pistes interprétatives ; ici, le décor de Bob Cousins ne révèle rien, n’ouvre aucune piste, et on ne saura pas ce qui a inspiré Simon Stone dans cet opéra, sinon le spectacle de la violence gratuite.

La grisaille scénique, après tout, est toujours préférable à la suractivité, et le spectateur peut se concentrer sur le texte et la musique. Heureusement, l’Opéra de Munich a réuni pour ce spectacle une distribution éblouissante et peut compter sur l’engagement total de Vladimir Jurowski, qui tient ses troupes beaucoup mieux qu’en début de saison dans Le Nez de Chostakovitch, et soutient le drame en laissant aux voix toute la place dont elles ont besoin. Wolfgang Koch est Urbain Grandier, le prêtre puni pour avoir ensorcelé les Ursulines de Loudun, mais surtout pour avoir résisté à Richelieu : habitué des grands rôles à Munich, de Sachs à Barak et de Jochanaan au Garde-forestier de la Renarde de Janáček ; ici encore, la sobriété l’emporte sur le spectaculaire, parce que l’humanité simple de ce pécheur racheté est ce qui compte pour lui. Aušrinė Stundytė chante Jeanne, la supérieure des Ursulines, attirée par la réputation galante de Grandier ; elle est à l’aise dans ce rôle exigeant, elle qui s’est fait connaître d’abord pour ses interprétations de personnages hors limites, même si on pourrait imaginer des choix autres qui rendraient un peu d’humanité au personnage.

Mais il faut tout autant faire l’éloge de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke : avec toute la légèreté et la diction fluide du ténor de caractère, il donne à son personnage, le persécuteur du malheureux Grandier, une élégance qui ne masque pas son cynisme impitoyable. Plus largement, on admire le travail qui a été accompli par tous pour donner à chacun des personnages de cette très longue distribution, y compris deux remarquables acteurs pour les rôles parlés, une présence et une caractérisation à la fois vocale et scénique : non seulement on peut ainsi admirer d’excellents acteurs-chanteurs comme Ulrich Reß ou Martin Winkler, mais surtout une telle individualisation est un atout précieux pour un public qui découvre l’œuvre, en clarifiant chaque scène et en aidant à se repérer dans la multiplicité de l’action et des personnages. Le spectacle a été filmé lors de la première, dans des conditions non optimales, Wolfgang Koch ayant dû être remplacé par un chanteur en bord de scène et un acteur sur scène ; la grande qualité musicale d’ensemble et la clarté globale du spectacle font espérer que cet inconvénient n’empêchera pas la diffusion large de la vidéo, qui serait un atout crucial pour faire connaître l’œuvre.

Dominique Adrian
Munich, 7 juillet 2022

Die Teufel von Loudun, Bayerische Staatsoper, du 27 juin au 7 juillet 2022

Crédits photos : Wilfried Hösl

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