Une Butterfly quasi exemplaire à Orange

Xl_butterfly-orange-2016 © DR

Pas facile de mettre en scène une œuvre aussi subtile et intimiste que Madame Butterfly devant l’imposant mur d’Orange et ses 72 mètres d’ouverture de scène ! C’est pourtant ce qu’a réussi Nadine Duffaut pour cette édition 2016 des Chorégies : choisissant à la fois l’épure et l’évocation, elle a installé un jardin d’eau qui rappelle ces jardins de Kyoto où l’espace est support de méditation, une eau à la fois troublante et inquiétante, sur laquelle des pontons de bois semblent le retour obstiné du réel quand l’eau figure cet imaginaire de la malheureuse Butterfly, là où elle laisse flotter son désir avant que ce réel ne la tue. Dans cet espace éminemment esthétique, superbement éclairé par Philippe Grosperrin (très belle idée que celles de ces lampes flottantes sur les eaux !), les costumes de Rosalie Varda viennent distribuer des couleurs profuses comme un autre jardin, contrepoint du jardin d’eau qui garde les secrets.

Sans chercher à faire dire à l’œuvre autre chose que ce qu’elle dit, autre chose que ce que Puccini a voulu décrire, Nadine Duffaut en donne une lecture simple et vraie, faisant alterner les scènes très vivantes où l’espace est occupé par la parentèle ou le voisinage avec celles, plus resserrées, où le drame se noue peu à peu, sorte de nœud coulant se resserrant sur la petite geisha qui a cru à la parole du beau soldat américain pour lequel elle n’était qu’un jouet. Sans doute il n’y a pas d’amour heureux mais les plus fragiles peuvent en mourir : c’est ce que raconte ce bel opéra, c’est ce que montre très finement le spectacle de Nadine Duffaut, allant au-delà de la simple illustration pour souligner, par une direction d’acteur précise, efficace, tel ou tel élément du drame, tel non-dit. Ainsi, à l’issue de l’air plein d’espoir de Butterfly, Un bel, di vedremo, cet air d’une enfant qui veut désespérément croire à son rêve, Suzuki, la servante au grand cœur, ouvre ses bras à la petite dans un geste étreignant qui dit toute cette relation maternante entre l’une et l’autre. Ainsi encore, vers la fin, quand Butterfly rencontre la femme de celui qu’elle n’a cessé d’aimer, et qu’elle découvre – superbe idée de Nadine Duffaut – que cette femme est enceinte, elle effleure brièvement le ventre qui, en annonçant l’avenir du couple réel, condamne à mort son couple imaginaire. Il y a plein de brèves notations, jamais appuyées, toujours dans le fil et dans l’esprit de l’œuvre, qui assoient ainsi la réussite de cette mise en scène.

Mais, bien sûr, rien n’existe à l’opéra sans la musique, les voix, le chant, l’orchestre. Là encore, belle réussite globale de la distribution réunie par Raymond Duffaut avant de quitter ces Chorégies auxquelles il a su, durant toutes ces décennies, donner un lustre qui en a fait un des premiers festivals lyriques au monde.
Jusqu’aux rôles secondaires, du Yamadori de Christophe Gay à la Kate Pinkerton de Valentine Lemercier (qui, en quelques phrases, impose un timbre qui donne envie d’être réentendu), tout est tissé avec cette attention qui a toujours été la marque de ce grand connaisseur des voix. Si l’on peut être plus réservé sur le Pinkerton du ténor américain Bryan Hymel, voix claironnante et sans vrai charme, sans doute trop héroïque pour ce rôle assez introverti, on ne peut que saluer le Sharpless de Marc Barrard, voix cuivrée et style impeccable pour ce rôle de consul durassien, et la luxueuse Suzuki de Marie-Nicole Lemieux qui, avec sa grande voix ombreuse, donne toute sa dimension de madone au rôle essentiel de Suzuki.
Mais bien sûr c’est le rôle-titre, celui de la Butterfly qui donne sa vérité à l’œuvre : et là, avec la magnifique soprano albanaise Ermonela Jaho, aujourd’hui sans aucun doute la plus grande titulaire au monde de ce rôle qu’elle a chanté sur toutes les plus grandes scènes, on est au sommet. Le timbre est idéal dans l’aigu et il sait trouver dans le médium des ressources nouvelles pour renouveler l’expression intérieure : car Ermonela Jaho chante non seulement avec cette voix frémissante (qui sait se faire déchirante) mais elle chante aussi avec l’intérieur d’elle-même, avec ses forces et ses fragilités, avec son âme au bord des lèvres. Portée par l’émotion sans jamais s’en laisser déborder, elle offre une interprétation saisissante des différents états de cette femme d’abord soufflée puis brisée, se montrant à la fois grande comédienne et grande musicienne.

L’Orchestre Philharmonique de Radio France est à son meilleur dans ce tissage subtil de sonorités qui enchâssent les voix mais, encore une fois, on déplorera que Mikko Franck, assurément fin alchimiste sonore, alanguisse trop souvent ses tempi et retienne à l’excès les moires de son rutilant orchestre : Puccini n’est pas Debussy et vouloir à toutes forces retenir la chair de cette orchestration pour ne privilégier que les jeux de timbres revient à ne conserver parfois que le dessin quand on voudrait aussi entendre les couleurs. Mais ce n’est qu’un bémol au sein d’une soirée qui demeurera quoi qu’il en soit une des plus abouties des Chorégies d’Orange.

Alain Duault

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading