Lise Davidsen, une voix montagne pour Salomé à l'Opéra de Paris

Xl_salome_opera-de-paris_2024_lise-davidsen © Charles Duprat / Opéra national de Paris

La reprise de la production de Salomé créée à l’automne 2022 (voir mon point de vue du 21 octobre 2022) confirme la force barbare, la lumière fuligineuse de la mise en scène de Lydia Steier qui montre véritablement ce que le chef-d’œuvre de Richard Strauss concentre de paroxystique. Mais elle interroge toujours sur cette scène finale incompréhensible, ce dédoublement et cette rédemption fantasmatique qui court-circuite l’effroi que contiennent le texte et la musique à ce moment-là, cette acmé de la violence comme rabattue, niée, rejetée. Chacun pourra s’interroger sur cette dichotomie entre une formidable représentation qui sait pousser à bout la montée effrayante puis le déchainement de la tragédie, jusque dans l’éclaboussante outrance fellinienne des images – et cette soudaine volte-face : oui, sans doute, comme le chante Salomé, « le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort », mais c’est la dialectique de ces deux mystères qui donne à l’œuvre cet absolu, dont le monologue final est l’apothéose noire et grandiose. On aimerait que Lydia Steier s’en explique – mais nulle note d’intention dans le programme de salle n’éclaire cette énigme du final. Peut-être une future reprise de ce spectacle à la violence orgiaque l’éclairera-t-elle…

Pourtant, l’exaltante puissance de cette Salomé continue de résonner haut – surtout du fait de celle pour qui l’on se précipite à l’Opéra-Bastille, la soprano norvégienne Lise Davidsen. On l’a déjà entendue à Bayreuth dans Wagner, qui est évidemment son élément, mais cette première Salomé montre l’étendue de ses moyens et l’intelligence de leur utilisation. Car, si l’on est impressionné, subjugué même par le métal de cette voix hors norme, timbre d’airain, aigus forgés sabre au clair, projection foudroyante, volume sidérant, on est aussi fasciné par ce que Lise Davidsen sait faire pour dessiner son personnage et pas seulement le déployer comme un étendard conquérant. Il faut entendre les allègements dont elle sait user pour ne pas noyer la ligne quand elle n’est que dans le récit, la finesse de son émission dosée pour exprimer une manière d’ironie qui contrebalance les grandes orgues qu’elle sait déchainer, la richesse soyeuse de la trame mélodique qu’elle sait colorer sans jamais saturer l’espace sonore qu’elle construit pourtant d’emblée au plus haut : son chant est en permanence incarné parce qu’il exprime, en ciselant les mots sans se laisser emporter par le souffle de sa forge ! C’est du très grand art, d’autant plus admirable que c’est sa prise de rôle en Salomé ! Ne serait-ce que pour elle, il faut courir à l’Opéra Bastille !


Lise Davidsen, Salomé (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris

Bien sûr, la montagne Davidsen relègue les autres voix à une altitude plus basse, sans pourtant que chacun démérite, tel l’Hérode de Gerhard Siegel, petit coq monté sur ses ergots qui ne parvient jamais à s’affirmer face à la tornade Salomé comme face à sa femme, Herodias. Celle-ci, interprétée avec une fougue que porte la voix ardente et très bien projetée d’Ekaterina Gubanova, se montre la digne mère de Salomé. En revanche le Jokanaan de Johan Reuter ne parvient pas à porter le frisson du prophète (mais le dispositif, il faut le reconnaitre, ne l’aide guère). Tout le reste de la distribution sert la pièce avec une belle conviction, portée par la direction constamment tenue de Mark Wigglesworth, à la tête du toujours époustouflant Orchestre de l’Opéra de Paris, dont il sait pétrir la lave en fusion, y creuser des vertiges, ménager des suspens avant de relancer les phalanges sonores pour exalter la voix impérieuse de la superlative Lise Davidsen, qui fait de cette reprise un événement.

Alain Duault
Paris, 25 mai 2024

Salomé à l'Opéra national de Paris Bastille du 9 au 28 mai 2024

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading