Le point de vue d’Alain Duault : Idoménée à la japonaise au Festival d'Aix-en-Provence

Xl_idomeneo-re-di-creta_aix-en-provence_2022_alain-duault Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

Premier chef-d’œuvre avéré de Mozart, à 25 ans, Idoménée est à la fois un opera seria et une œuvre qui se projette dans un avenir neuf : avec une dramaturgie puissante et une musique d’une richesse renouvelée, elle ouvre la voie à ce que le siècle suivant développera. La production qu’en propose le Festival d’Aix-en-Provence est, de ce point de vue, à la fois agréable et frustrante. Agréable à voir car l’équipe réunie par le metteur en scène Satoshi Miyagi, une équipe entièrement japonaise, a imaginé une scénographie fluide, basée sur de hauts paravents plus ou moins transparents qui absorbent la lumière et déploient des jeux de lumière incessants, des ombres « chinoises », des figures secrètes qui sont peut-être une visualisation de l’inconscient des personnages, figurés par de multiples « kurokos », ces machinistes qui, dans le théâtre kabuki, déplacent décors et accessoires,  aident aux changements de scène et de costumes. C’est souvent très beau et cela crée un univers esthétique qui procure à la musique un écrin visuel assez fascinant. Mais ces décors sans cesse changeants, ces promontoires habités par les kurokos qui les font glisser, tournoyer, composer des images multiples, n’offrent qu’un plaisir décoratif.

Idomeneo, Re di Creta - Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

Car de mise en scène, point ! C’est du pur non-théâtre. Et c’est ce qui rend cette production frustrante. Les amateurs du néo-maniérisme d’un Bob Wilson peuvent y trouver leur compte mais ceux qui pensent que l’opéra, c’est de la musique et aussi du théâtre, non ! En effet, les personnages apparaissent tous figés, chacun posé sur un promontoire, et n’ont aucune interaction les uns avec les autres, ne se regardent même pas : ce sont des statues, pas des êtres de chair. Comment, à partir de cette réduction du théâtre au pur décorativisme, éclairer l’œuvre, en apprendre plus sur les déterminations humaines des personnages, avoir une vision dramaturgique de cette histoire pourtant très forte qui met en jeu le destin, le devoir et l’amour ? Ce n’est pas le propos de Satoshi Myagi qui se limite à un accompagnement plastique de la musique, dans une perspective japonaise (beaux kimonos blancs et noirs, costumes des soldats japonais de la Seconde Guerre mondiale pour le chœur, et même drapeau japonais en noir et blanc brandi par Idoménée pour repousser les assauts de la tempête). On a l’impression de circuler dans une splendide exposition de paravents en mouvement, s’éclairant soudain de couleurs chaudes ou froides, allant jusqu’à réunir tous les paravents pour créer une immense fresque aux allures de manga au dernier acte. Mais la scène ne raconte rien.

Heureusement, il y a la musique. Outre que l’œuvre est d’une richesse musicale et vocale de haute tenue, la réalisation qui en est proposée est largement positive, du fait d’abord du plateau vocal réuni, au sommet duquel on applaudit la performance du baryténor Michael Spyres (plus souvent baryton que ténor…), dont la clarté de l’émission, la force de projection, la constante tenue de la ligne, jusque dans les airs meurtriers qu’il doit porter (« Fuor del mar » en particulier au deuxième acte), en font un véritable personnage… même si la mise en scène ne lui permet pas d’habiter théâtralement son chant.

Idomeneo, Re di Creta - Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

On salue aussi la belle homogénéité du timbre de l’Idamante d’Anna Bonitatibus, aux riches couleurs expressives. L’Ilia de Sabine Devieilhe est, elle, un peu en retrait : elle semble d’abord tétanisée, dès son entrée, par la position inconfortable qui lui est assignée sur ce promontoire instable sur lequel elle doit déployer ses airs. Bien sûr, le timbre n’a rien perdu de sa pureté, de sa transparence, de ses moirures mais le chant (à l’instar de sa position physique) parait moins assuré, même si son aria du troisième acte, « Zeffiretti lusinghieri », retrouve le meilleur de sa musicalité. L’Elettra de l’américaine Nicole Chevalier fait grand effet, surtout dans son air final, l’Arbace de Linard Vrielink est aussi très présent, ces deux derniers n’étant pas assignés à ces promontoires inconfortables de leurs collègues. Enfin Raphaël Pichon, à la tête de son orchestre Pygmalion (et de son chœur particulièrement remarquable), offre une lecture qui, d’abord un peu retenue et mécanique au premier acte, s’humanise et trouve ensuite des couleurs, des rondeurs, et une véritable expression des sentiments à l’œuvre : c’est lui qui pallie la raideur théâtrale de ce spectacle et lui donne un frémissement consolant.

Finalement, on passe donc une soirée agréable pour l’œil, le plus souvent séduisante pour l’oreille, même si frustrante pour l’esprit, pour la réflexion théâtrale. Mais en ces temps tourmentés, un spectacle qui apporte des plaisirs premiers est le bienvenu – et ne mérite en tout cas pas les huées d’une infime minorité de spectateurs qui, encore une fois, font montre d’une goujaterie à l’égard des artistes. Critiquer, avoir des réserves, oui, rejeter avec mépris un réel travail, non ! Bien sûr, il ne s’agit pas d’un Idoménée de répertoire, mais c’est une belle soirée de festival accordée à la douceur du soir.

Alain Duault
Aix-en-Provence, 11 juillet 2022

Idomeneo, re di Creta au Festival d'Aix-en-Provence du 6 au 22 juillet 2022

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