Béatrice de Tende à l’Opéra de Paris, une (re)découverte mais...

Xl_beatrice-di-tenda-opera-de-paris-2024-alain-duault © Franck Ferville / OnP

C’est l’honneur de l’Opéra de Paris de redonner à entendre un opéra presque oublié et trop rarement joué. En fait, Beatrice di Tenda, l’avant-dernier opéra de Vincenzo Bellini, n’a pas eu de chance, dès sa naissance à la Fenice de Venise en 1833. La genèse en a été difficile et la création n’a pas connu le succès : trois représentations seulement – suivi d’un siècle d’oubli. Cette entrée au répertoire de l’Opéra de Paris est bienvenue assurément – mais toutes les conditions d’une redécouverte ont-elles été réunies ? Car, pour un ouvrage qui va devoir révéler ses beautés, était-il opportun de faire appel à Peter Sellars, un des metteurs en scène les plus inventifs d’aujourd’hui, mais qui excelle à rééclairer des œuvres plutôt qu’à donner les éléments propres à en découvrir une nouvelle ? D’ailleurs, on a le sentiment en voyant ce spectacle que Peter Sellars a été gêné et n’a en fait pas trouvé comment raconter cette histoire en mettant sa marque dramaturgique dans ce récit qui a semblé le contraindre. Sans doute le décor ne manque-t-il pas de beauté intrinsèque : c’est un palais intemporel, envahi d’une nature qui en fait un jardin énigmatique mais séduisant, entre autres du fait des éclairages magnifiques qui peignent des tableaux poétiques. Mais à côté de cela, des scènes à la dramaturgie plate, une direction d’acteurs d’une vacuité totale, alors qu’elle est une des lignes de force des spectacles signés Peter Sellars : que s’est-il donc passé ? Comme s’il s’était absenté de ce spectacle. Dommage !


Beatrice di Tenda, Opéra de Paris 2023 24 (c) Franck Ferville

La musique est heureusement mieux servie mais, là encore, non sans quelques problèmes qui interrogent : pourquoi par exemple le chef, Mark Wigglesworth, éprouve-t-il le besoin de tirer cette musique vers Gluck et, plus encore, vers Beethoven, en alourdissant les lignes, en offrant une lecture tendue mais sans poésie, plus bruyante qu’ardente ? Où est passé le bel canto romantique ? Assurément pas non plus dans le chant de Tamara Wilson : non qu’elle ne possède de vrais moyens de grand soprano, au timbre argenté bien projeté – mais aux aigus serrés qui empêchent l’épanouissement de la ligne. Pourtant on attend sans cesse l’émotion qui a tendance à se cacher derrière la démonstration. On est mieux loti avec l’Orombello de Pene Pati, timbre solaire, chant tout de lyrisme et d’élégance, qui fait passer, lui, de l’émotion. Son frère Amitai Pati a un trop petit rôle pour qu’on puisse juger définitivement de ses qualités, mais il donne vraiment envie de le réentendre. Quant au Filipp de Quinn Kelsey, il porte une réelle vérité dramaturgique mais sa projection, plus verdienne que bellinienne, l’empêche de donner toute son intériorité à ce personnage clé de la tragédie. On n’oubliera pas l’Agnese de Theresa Kronthaler, même si elle s’oublie elle-même un peu dans la première partie, mais le deuxième acte lui permet d’affirmer un timbre riche, doré, à la projection intense dès qu’elle habite enfin son personnage. Le bonheur est, comme toujours, absolu avec le Chœur que Ching Lien Wu a encore une fois su préparer pour qu’il s’exprime à son meilleur – et les séquences chorales ne manquent pas pour affirmer sa prééminence.

Au final, une recréation qui révèle à beaucoup une œuvre remplie de beautés multiples, un spectacle qui ressemble parfois à une version de concert dans un beau décor (sans bien sûr qu’on nous épargne ces tics absurdes des mitraillettes complètement hors de propos, pour « faire moderne » alors que la mise en scène demeure désespérément plate), une proposition musicale qui, sans être indigne, ne semble pas au niveau d’une telle œuvre : on sort avec une impression mitigée – mais surtout le désir de revoir et réentendre cette Béatrice de Tende avec toutes les chances qu’elle mérite.

Alain Duault
Paris, 23 février 2024

Beatrice di Tenda à l'Opéra National de Paris - Bastille du 9 février au 7 mars 2024

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