Stefano Mazzonis Di Pralafera met en scène Lucia di Lammermoor à l'Opéra Royal de Wallonie

Xl_mazzonis © DR

Après L'Elisir d'amore en juin, puis Il Barbiere di Siviglia le mois dernier, Stefano Mazzonis Di Pralafera double à nouveau ses fonctions de directeur de l'Opéra Royal de Wallonie et de metteur en scène, en proposant cette fois une nouvelle production de Lucia di Lammermoor de donizetti, avec la superbe soprano française Annick Massis dans le rôle-titre. Nous l'avons rencontré pendant l'entracte d'une des représentations...

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Opera-Online : Vous mettez en scène actuellement Lucia di Lammermoor ici à l'Opéra Royal de Wallonie ; que raconte à vos yeux cette histoire ?

Stefano Mazzonis di Pralafera : C'est l'histoire d'une femme outragée - par sa famille, par les hommes, son frère, le chapelain, même le chœur est contre elle... - qui va se rebeller de manière très violente, de la seule manière qui est à sa disposition à ce moment là, c'est à dire en tuant l'homme auquel on la marie de force, et ce dès la nuit de ses noces. Lucia n'est pas une femme fragile, ce n'est pas une folle, c'est quelqu'un de fort au contraire, qui n'accepte pas les diktats des autres.

Pouvez-vous nous parler de votre mise en scène ?

J'ai voulu garder une atmosphère écossaise, bien que ce genre de situation soit encore d'une triste actualité, et qu'on marie encore de force de nombreuses femmes de par le monde. J'ai également voulu garder – au niveau du décor – un aspect du roman de Walter Scott d'où est tiré le livret, à savoir les deux châteaux : celui des Ravenswood qui a été confisqué par la famille de Lucia suite à des magouilles, et la petite tour de garde dans laquelle s'est réfugié Edgardo, une fois chassé de la demeure de ses ancêtres. Dans cette tour vit son fidèle serviteur, qui est la seule chose qui lui reste de son passé, personnage très présent dans le roman de Scott, et qui apparaît à la fin de mon spectacle. Ce personnage reste aux côtés d'Edgar jusqu'à ce que ce dernier ne rende son dernier souffle. Une autre scène importante dans ma mise en scène est celle où l'on voit Lucia couper la tête de son mari - après l'avoir tué -, tête qu'elle va jeter en la faisant rouler au milieu des nobles rassemblés pour la fête des noces. C'est une scène qui peut rappeler l'histoire de Salomé, mais qui  montre surtout que Lucia est une femme forte, capable de commettre un geste violent et désespéré.

Vous avez confié le rôle à Annick Massis....

Oui, c'est une des plus grandes chanteuses de notre temps, notamment dans le répertoire belcantiste, et elle incarne le personnage d'une manière sublime. Elle est totalement « mûre » dans la connaissance de ce rôle - qu'elle a chanté tellement de fois aux quatre coins de la planète. Elle m'a confié qu'elle aimait beaucoup l'idée que je me faisais du personnage, à savoir – comme je vous l'ai déjà précisé – une femme déterminée, qui feint même peut-être la folie.

Une constatation : l'opéra italien occupe une place prépondérante dans vos saisons...

Cela s'explique par le fait - pour commencer - que je suis italien moi-même, que mon cœur penche là, mais aussi  tout simplement parce que l'opéra a été inventé en Italie ! Ensuite, si vous regardez les statistiques au niveau mondial, l'opéra italien représente 70% du répertoire des théâtres lyriques. Ca se complète avec Bizet, Mozart, Strauss et Wagner, et là on atteint - je crois - 90% des spectacles montés à travers le monde. Je respecte peut-être un peu plus cette statistique par rapport à d'autres théâtres, mais je constate surtout que ça ramène beaucoup de gens à l'Opéra Royal de Wallonie et qu'il est content de cette programmation. Par ailleurs, j'essaie de mettrre parfois des titres plutôt rares issus du répertoire italien.

Cela ne se fait-il pas au détriment du répertoire allemand, et de la musique baroque ou contemporaine ?

Pour ce qui est du répertoire allemand, Liège est à 30km de l'Allemagne, et je considère que les théâtres de l'autre côté du Rhin feront toujours mieux que ce que l'on pourrait faire ici. On a tout de même donné, la saison dernière, Les Joyeuses commères de Windsor d'Otto Nikolaï (NDLR : nous y étions) qui est un titre rare, même en pays germanique... On a également donné ici la Salomé de Richard Strauss dans sa version française, pour vous donner un autre exemple. Ensuite, il faut avoir à l'esprit que la Belgique est un petit pays qui ne dispose que de trois structures lyriques. La Monnaie de Bruxelles fait une place de choix au répertoire contemporain, et le public d'ici peut facilement s'y rendre... Et puis ainsi, il n'y a pas de concurrence entre nous ! Quant au baroque, il faut pour jouer ce répertoire un orchestre baroque, et si j'en invite un - outre le fait que cela a un coût conséquent -, je laisse sans travail nos forces maison composés de salariés. Bref, économiquement, ce n'est pas viable... Cela dit - et c'est un scoop que je vous donne -, je vais prochainement monter un opéra baroque, pendant que notre orchestre sera en tournée ; dans ces conditions, cela sera possible...

Qu'implique le fait d'être à la fois directeur de théâtre et metteur en scène dans son propre théâtre ?

Je pense que c'est une bonne chose. Quand j'ai été appelé ici, il était stipulé dans l'appel d'offre que le directeur pourrait y faire parallèlement des mises en scène, et que c'était même une condition souhaitée, car c'est une assurance que la personne connaît  bien le théâtre de l'intérieur... Sans vouloir me mettre en avant, j'ai d'ailleurs gagné, en 2012, le Prix du Syndicat National de la Critique française, avec ma production de L'Equivoco Stravagante de Rossini,

Quel est votre public ici à Liège et quel est votre budget ?

On a un public composé essentiellement de gens de la Province, un noyau dur qui représente 65% des spectateurs, puis 20% de public venu de la Belgique flamande, et enfin 15% de public français et allemand (NDLR : tous les spectacles sont surtitrés dans ces trois langues). Au final, nous avons un taux de remplissage moyen de la salle qui est de 98%. J'aimerais aussi attirer votre attention sur le fait que nous avons une vraie politique vis à vis du jeune public - les moins de 26 ans - dont le pourcentage s'élève à 30% des auditeurs. On fait beaucoup pour les jeunes à l'ORW, c'est une priorité pour moi, et un poste est d'ailleurs entièrement dédié à cela.
Pour ce qui est du budget, il est de 19 millions d'euros, dont 15 proviennent de l'Etat, de la ville de Liège et de la Province de Wallonie, le reste se répartissant entre les recettes du théâtre et les dons de nos sponsors.

Un certain nombre des spectacles donnés à l'Opéra Royal de Wallonie est diffusé en direct sur le web . Est-ce un succès, et allez-vous poursuivre l'expérience ?

C'est quelque chose qui me tient en effet très à cœur et qui est très bien suivi. Le dernier streaming sur Culturebox, avec précisément cette Lucia, a eu un énorme succès, avec près de 10;000 personnes qui l'ont visionné, ce qui est beaucoup pour ce genre de diffusion. Ces spectacles auront une plus grande audience dans le futur, car certains seront plus tard diffusés sur France Télévision ou la RTBF, ou encore sur Medici TV, et même dans certains cinémas de la région.

Propos recueillis par Emmanuel Andrieu à Liège, le 29 novembre 2015

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