Jérémie Rhorer, la politique de l’offre

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Jérémie Rhorer, qui va diriger dans quelques jours la première d’une nouvelle production de l’Enlèvement au Sérail au Festival d’Aix-en-Provence, est un bon représentant d’une jeune génération de musiciens (il est né en 1973) qui accèdent à la direction d’orchestre en inventant un orchestre à la mesure précise de leurs envies. Bien sûr, Rhorer a une formation de claveciniste tout autant que William Christie ou Christophe Rousset, et il a d’ailleurs appris le métier en assistant quelques-uns des grands noms de la direction « baroque ». Bien sûr, l’expérience de plusieurs décennies de développement des ensembles baroques est un préalable à leurs projets, mais ces ensembles-là ont connu un parcours différent : il s’agissait d’une part de faire revivre un répertoire complètement oublié, en comblant un vide laissé par les institutions musicales traditionnelles ; d’autre part, les projets qui les avaient vu naître mobilisaient une poignée de musiciens pour un répertoire intime. Avec le nouveau type d’orchestre dont Le Cercle de l’Harmonie est un exemple réussi, l’approche est différente : c’est d’emblée le répertoire symphonique qui est l’objectif, voire l’opéra – la première production marquante de l’orchestre, c’est une version de concert d’Idomeneo au festival de Beaune en 2006, et on se souvient aussi d’un magnifique Thamos, musique de scène pour une pièce bien oubliée qui comporte quelques-unes des plus belles pages chorales de Mozart. La perspective de l’ensemble est ancrée dans la seconde moitié du xviiie siècle, et son nom en témoigne (c’est celui donné par le Chevalier de Saint-George, dans les années 1790, à son orchestre). Pour autant, aucun répertoire n’est interdit d’avance ; reste que l’opéra, en version de concert ou avec les moyens de la scène – surtout au Théâtre des Champs-Élysées –, joue un rôle capital dans la vie de l’ensemble, ne serait-ce que parce que c’est souvent le meilleur moyen de se distinguer.

Comme les ensembles baroques, pourtant, l’orchestre fondé par Jérémie Rhorer et le violoniste Julien Chauvin est une structure à la fois légère et souple, et il n’est pas étonnant que ce soit dans le cadre temporaire d’un festival – celui de Deauville – que le projet a pris forme. C’est une nécessité (l’accès aux subventions étant désormais réservé aux institutions établies), mais c’est aussi la conséquence du projet fondateur, dans lequel l’envie collective des instrumentistes compte autant que celle du chef. Et il faut, pour ce faire, développer des compétences aiguës dans l’art de solliciter les soutiens ponctuels de toutes les autorités privées et publiques possibles. Pas de saison de concerts fixe comme les orchestres symphoniques traditionnels, donc, mais tout de même un certain nombre de fidélités qui assurent un financement basique sans permettre ou contraindre la mise en place d’une structure plus lourde et plus permanente.

Pourtant, Jérémie Rhorer a aussi une activité importante de chef invité qui l’amène à diriger de nombreux autres orchestres, généralistes ou spécialisés, dans un répertoire qui va jusqu’aux créations, notamment Claude du très sage Thierry Escaich à l’Opéra de Lyon en 2013. Pour cette nouvelle aventure mozartienne, c’est d’ailleurs un des plus vénérables ensembles sur instruments anciens qui sera dans la fosse, le Freiburger Barockorchester, dont le compagnonnage avec René Jacobs dans les opéras de Mozart a marqué les esprits ces dernières années. Le choix n’est finalement guère surprenant quand on connaît le style de Rhorer : on retrouve chez lui le souci de soutenir fortement le drame, la fadeur paraissant bien plus à craindre que la brutalité. Le choix de Rhorer est celui d’une indépendance artistique – il n’est ni assimilable à une quelconque orthodoxie baroqueuse, ni partisan du retour à une tradition d’interprétation antérieure –, et il comporte des risques, qu’une version de concert de Fidelio au printemps 2014 a bien illustré : l’engagement, la volonté de bien faire, l’énergie ne font pas tout, il faut aussi prendre le temps de laisser respirer la musique – et les chanteurs.Aucun opéra de Mozart ne nécessite un sens de l’équilibre et de la mesure aussi grand que L’Enlèvement : dans les conditions idéales d’un festival et avec un orchestre ainsi entraîné, on peut tout de même parier sur la réussite du spectacle.

Dominique Adrian

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