Girls of the Golden West : l'opéra derrière l'or

Xl_girls_of_the_golden_west_ah_sing_c_stephan_cohenjpg © Stefan Cohen - San Francisco Opera

Girls of the Golden West est la dixième œuvre lyrique du compositeur américain John Adams, accompagné de son collaborateur de longue date, Peter Sellars, à la fois à la mise en scène et au livret. Après les sujets contemporains (les très remarqués Nixon in China, The Death of Klinghoffer et Doctor Atomic), direction la Californie du Nord pour raconter une nouvelle version de la Ruée vers l’or dans une création mondiale au San Francisco Opera, également  co-produite par le Dallas Opera et le Dutch National Opera. Voici les premières informations sur le spectacle avant les applaudissements de la première, pour patienter jusqu’à sa venue à Amsterdam l’année prochaine.

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Les Filles du Far-West, ainsi pourrait-on traduire le nouvel opus de John Adams et Peter Sellars. La référence à l’opéra La Fanciulla del West de Puccini est évidente, mais la transformation du singulier au pluriel n’est pas anodine. C’est en entamant des recherches pour une mise en scène de l’œuvre de 1910 pour la Scala de Milan (offre finalement déclinée) que Peter Sellars a saisi la richesse du sujet et a décidé d’en tirer un contenu moins romancé, en ne récupérant que la substance de la Ruée vers l’or, au début des années 1850, pour en séparer les images d’Épinal. Les récits idéalisés sont légion et narrent généralement le point de vue des mineurs, mais peu celui des épouses et des femmes indépendantes qui prenaient part à l’aventure. Selon Sellars, le livret de La Fille du Far-West était le reflet de son époque, mais avec le recul acquis en 2017, il était plus juste de se focaliser sur le « hors-champ », en rendant hommage aux personnages féminins souvent effacés par le temps.


Girls of the Golden West (répétitions)

Hors des clichés de sols poussiéreux balayés par le vent et des pépites grosses comme des œufs, une guerre sans merci se disputait entre les représentants de l’une des premières sociétés multiculturelles du monde occidental. L’avènement de la presse a fait éclore un système où le monde entier s’est pris de passion pour cette terre d’argent supposé facile (Wagner commença d’ailleurs à composer sa Tétralogie à cette époque). D’anciens esclaves fraîchement libérés, des Latino-Américains, des Européens et des Asiatiques se bousculaient à la recherche d’une vie meilleure, et se retrouvaient confrontés aux agressions raciales et à une violence économique et sociale où la loi du plus fort régnait. Pauvreté extrême ou richesse fulgurante touchaient toutes les strates de population, du jour au lendemain, en un claquement de doigt.

Peter Sellars a compilé nombre de textes détaillant la vie au temps de la Ruée vers l’or et y a trouvé une analogie frappante avec la situation actuelle dans la baie de San Francisco et la Silicon Valley. L’archivage a été pointilleux, jusqu’au travail sur les costumes, à la façon d’un opéra documentaire, en contrepoint à l’un des mythes fondateurs des Etats-Unis.

Girls of the Golden West se concentre sur trois figures historiques : Dame Shirley (épouse d’un médecin du New Jersey), Ah Sing (une prostituée chinoise) et Josefa Segovia (une serveuse mexicaine). La première a entretenu une correspondance de vingt-trois lettres avec sa sœur Molly de 1850 à 1852, et lui a raconté avec transparence son quotidien difficile et parfois cruel. Ah Sing est pour sa part d’abord vendue et va parvenir a faire augmenter son propre « cours » en travaillant d’arrache-pied, car seul l’argent lui procurera sa liberté. Quant à Josefa, c’est son implication à un fait divers qui l’a rendue éternelle : elle tue en légitime défense un homme qui l’agresse en pleine rue, et sera pendue en place publique le lendemain, faisant d’elle la première femme mise à mort en Californie.  


Girls of the Golden West (répétitions)

La scénographie incorporera des éléments caractéristiques des années 1850 : des troncs d’arbres (pour illustrer les étendues naturelles du Nord de la Californie et la déforestation impliquée par la construction d’habitations), un cadre d’images mouvantes en fond de scène et une diligence, agrémentés d’objets et de mobilier d’époque, pour un imaginaire stimulé et projectif.

La musique de John Adams convoque un attirail instrumental unique et des techniques de jeu diversifiées. Le compositeur a retrouvé certaines chansons des années 1850, mais il s’est concentré sur le rythme induit par les paroles pour créer un matériau innovant. L’ensemble de la partition reste imprégné de la présence masculine et du travail harassant, au travers des chants de mineurs (les chœurs étant exclusivement masculins). Les scènes de divertissement ne seront pas oubliées, à l’instar des moments alcoolisés au bar, des célébrations de la Fête nationale (où l’on jouait Macbeth, de Shakespeare) et des danses olé-olé (telles que la Spider Dance de Lola Montez, scandale retrouvé par le metteur en scène).

Sur le plan vocal, la distribution réunit sept représentants de la nouvelle génération de chanteurs, sous la baguette de Grant Gershon : Julia Bullock (Dame Shirley), Hye Jung Lee (Ah Sing), J’Nai Bridges (Josefa Segovia), Davóne Tines, Ryan McKinny, Paul Appleby et Elliot Madore. Opéra engagé ou témoignage hommage ? Réponse dès mardi, où ces Girls redoreront l’éclat de la Baie.

Thibault Vicq

Girls of the Golden West, les 21, 24, 26 et 29 novembre, 2, 5, 7 et 10 décembre 2017 au War Memorial Opera House

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