Anna Caterina Antonacci chante Pénélope de Fauré à l'Opéra National du Rhin

Xl_antonacci © DR

Après avoir chanté l'héroïne mythologique au Théâtre des Champs-Elysées en juin 2013 aux côtés de Roberto Alagna (en version de concert), Anna Caterina Antonacci retrouve (à partir du 23/10) le rôle de Pénélope dans l'ouvrage éponyme de Gabriel Fauré, cette fois dans une version scénique (signée par Olivier Py) à l'Opéra National du Rhin. Elle sera également le douloureux personnage de « Elle » dans La Voix humaine de Poulenc, à l'Opéra Royal de Wallonie en février prochain. Nous avons interviewé cette interprète d'exception dont la sensibilité et la sincérité coulent dans les veines des héroïnes d'opéras qu'elle incarne avec un immense talent…

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Opera-Online : Vos choix artistiques ont depuis longtemps favorisé le répertoire français : vous fréquentez Halevy, Berlioz, Bizet, Massenet, Poulenc et maintenant Fauré. Qu'est-ce qui vous séduit dans ces partitions et dans cette langue que vous dites magnifiquement ? 

Anna Caterina Antonacci : La Damnation de Faust - que j'ai entendue pour la première fois dans le théâtre de ma ville quand j'avais 19 ans - me foudroya littéralement sur place ! Ce dont je n'avais pas idée, c'est que j'aurais un jour la chance de devenir l'interprète de ce merveilleux répertoire. Tout a commencé avec Les Troyens au Théâtre du Châtelet, et depuis, je n'ai jamais cessé de me passionner toujours davantage pour la littérature, le théâtre et le cinéma français. Dans le répertoire français, il y a une profonde attention au texte poétique, à la métrique, à la prosodie, et le public est particulièrement sensible au moindre détail. C'est la raison pour laquelle me consacrer à la musique française m'a amenée à me remettre constamment en question, et à chercher d'aller toujours plus loin et d'apprendre toujours davantage.

Quel souvenir conservez-vous de la version de concert de Pénélope en juin 2013 au Théâtre des Champs-Elysées ? 

Je garde le souvenir d'une soirée très émouvante, où la concentration était extrême ! La partition a été difficile à apprendre – peut-être la plus complexe que j'ai jamais affrontée - et la peur de me tromper était forte. Mais plus grand encore était le plaisir physique de chanter la moindre parole de ce rôle, en me fondant dans les couleurs orchestrales. Ce fut un grand succès : tous les interprètes formaient un ensemble parfait. Et Roberto Alagna nous entraînait tous ! Un autre souvenir, c'est qu'après cet unique concert, j'ai continué de chanter Pénélope - pour moi-même - pendant tout l'été, en conduisant, en cuisinant...tout le temps !

Comment faire face à cet entêtant flot musical quasiment ininterrompu, mais aussi à cette musique subtile et raffinée ?

Olivier Py a justement choisi de représenter l'opéra sans entracte, dans une unité de temps, de lieu et d'action classiques. La musique de Fauré s'écoule en effet sans interruption, et chaque épisode se fond dans le suivant. J'ai la sensation de suivre un fil d'une extrême concentration, qui s'étire des attaques de la musique aux paroles du texte et à l'action théâtrale. Il s'agit d'un fil fragile, qu'un rien peut rompre, alors c'est un peu comme se réveiller après un rêve que l'on voudrait reprendre tout de suite. Tout est extrêmement délicat et subtil - et justement pour cela - extrêmement précieux.

La manière d'articuler les mots dans Pénélope est-elle différente de celle que vous utilisez dans d'autres opéras français ?

J'ai retrouvé dans l'opéra de Fauré la même pureté lumineuse de lignes que je connaissais dans ses Mélodies. Le texte se fond avec la musique d'une manière parfaitement naturelle, et l'impression que Fauré veut donner est celle de la simplicité et de la vérité des sentiments. C'est la raison pour laquelle la façon même de proposer les paroles obéit à cette exigence de clarté dépouillée de tout ornement superflu. Au début du deuxième acte, quand Pénélope et Ulysse sont au sommet de la colline face à l'immensité de la mer déserte, je n'ai pas pu ne pas comparer cette atmosphère à celle que Fauré crée de façon géniale dans « L'Horizon chimérique ».

L'écriture vocale de Fauré vous paraît-elle plus équilibrée que celle de Massenet ?

Ce sont deux conceptions de la vocalité très différentes entre elles. Fauré est attiré par la simplicité et la noblesse helléniques, par l'harmonisation « modale ». Il est proche, en ce sens, de Debussy. Son écriture vocale est douce et sa ligne musicale passe du récitatif aux ariosi, puis à  la mélodie vibrante, en subissant des transformations naturelles qui obéissent toujours aux exigences dramatiques et au texte. Fauré a également recours à des leitmotiv qui décrivent et caractérisent les personnages, à la manière de Wagner. Massenet, quant à lui, est un musicien du Romantisme tardif, qui a une veine sentimentale très riche mais certainement plus conventionnelle.

Je sais que Dalila ne vous convient pas. Y a-t-il des rôles que vous rêvez d'aborder et que l'on ne vous propose pas ? 

Parmi mes regrets, il y a celui de ne jamais avoir chanté Blanche de la Force (NDLR : dans Dialogues des carmélites de Francis Poulenc). Je suis trop âgée maintenant pour le rôle mais la fragilité et la prétendue lâcheté du personnage - qui se transcende à la fin en un authentique héroïsme de martyre - m'attiraient terriblement... Dommage... ce sera pour ma prochaine vie, si je décidais d'être à nouveau chanteuse, chose dont très sincèrement je doute... (rires) Toutefois, j'ai la chance qu'on me propose souvent des rôles auxquels je n'aurais jamais pensé, à cause de mon manque de culture, comme par exemple Gloriana de Britten, que j'aurai la joie d'interpréter dans deux ans, dans une création de David Mc Vicar, un metteur en scène que j'adore... Dans le futur, j'aimerais beaucoup chanter un rôle comique, comme celui de la Périchole ou de la Grande-Duchesse de Gerolstein.

Quelle héroïne historique ou contemporaine aimeriez-vous qu'un compositeur mette en musique pour vous ?

Récemment, j'ai interprété La Ciociara – roman d'Alberto Moravia et film de Vittorio De Sica avec Sofia Loren – opéra que Marco Tutino a créé pour moi à l'Opéra de San Francisco. Ce fut une expérience enthousiasmante, aussi bien pour nous les chanteurs que pour le public. Tutino avait déjà composé un autre opéra pour moi, il y a 10 ans, à la Scala de Milan, « Vita », l'histoire d'une professeure de philosophie malade d'un cancer, solitaire et enfermée dans son monde, qui ne dialogue qu'avec des personnages imaginaires.  Comme la composition d'œuvres et de livrets s'est arrêtée il y a pratiquement 100 ans, les histoires qui sont représentées ne sont plus vraiment d'actualité. J'ai été surprise de voir combien le caractère contemporain de l'œuvre a pu toucher le public. Ce fut un travail passionnant que j'espère reproduire à l'avenir

Quelle spectatrice êtes-vous quand vous venez voir ou écouter les camarades ?

Je vais plus volontiers au théâtre ou au cinéma qu'à l'opéra ou à des concerts. Mais quand cela m'arrive, je suis toujours une spectatrice prête à m'étonner et à m'enthousiasmer, comme quand j'étais plus jeune et que j'allais au théâtre presque tous les soirs !

Votre carrière est internationale et vous oblige à beaucoup voyager et à vous éloigner de votre point d'attache. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre avec cette vie ?

Il n'y a pas d'équilibre possible avec cette vie-là. C'est un miracle si j'arrive à conserver quelques amitiés vraies et durables, Il faut renoncer à toutes les activités qui exigent un lieu de vie stable. On s'habitue à être seul, dès le début de sa carrière, cela fait partie des contraintes du métier...

Vous serez de nouveau Carmen dans quelques mois au Teatro Regio de Turin. Ce rôle fait désormais partie de ceux que vous chantez souvent. Comment peut-on, avec des metteurs en scène différents, renouveler son interprétation ?

J'ai en effet chanté cet opéra de nombreuses fois mais les deux productions que j'ai follement aimées et pour lesquelles j'ai réalisé pleinement ma vision de Carmen sont celles de Zambello/Pappano au Covent Garden de Londres, et celle de Noble/Gardiner à l'Opéra Comique à Paris. Malheureusement, je ne pense pas que l'on puisse renouveler à l'infini une interprétation : à un certain moment, il faut se faire une raison et abandonner les personnages dont on a fait le tour !

Propos recueillis par Emmanuel Andrieu

Anna Caterina Antonacci dans Pénélope de Gabriel Fauré – Du 23 octobre au 22 novembre à l'Opéra National du Rhin

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