À Salzbourg, une Poppée de la maturité pour Sonya Yoncheva

Xl_sonyayoncheva_c_rolex_hugoglendinning © (c) Rolex / Hugo Glendinning

Si Sonya Yoncheva interprète aujourd’hui des rôles nombreux, la soprano bulgare s’est notamment révélée dans un répertoire baroque au sein du Jardin des voix de William Christie – cet ensemble qui visait précisément alors à mettre en lumière de jeunes interprètes spécialistes de la musique baroque. C’est donc logiquement que Le Couronnement de Poppée, de Montverdi, est entré tôt dans le répertoire de la chanteuse, qui a d’abord interprété le rôle de la Fortune (en 2008 au festival de Glyndebourne) avant d’endosser le rôle-titre à Lille en 2012 aux côtés notamment de Max Emanuel Cencic – les deux productions ont fait l’objet d’une captation et sont aujourd’hui disponibles en DVD.

Aujourd’hui, Sonya Yoncheva renoue avec le rôle de Poppée à l’occasion du Festival de Salzbourg où elle retrouvera de nouveau William Christie après dix ans de séparation, dans le cadre d’une nouvelle production de l’œuvre de Monteverdi confiée au metteur en scène de théâtre Jan Lauwers – à qui incombe la délicate mission de donner corps à cette Poppée, monstre de cynisme, prête à tout pour assouvir sa soif de pouvoir et monter sur le trône aux côtés de l’empereur Néron (interprété ici par Kate Lindsey), au prix des pires manipulations qui conduiront au bannissement  de l’impératrice Octavie (Stéphanie d’Oustrac) et d’Othon (Carlo Vistoli) alors que Sénèque (Renato Dolcini) sera poussé au suicide.

Mais évidemment, la soprano bulgare n’appréhende pas l’œuvre aujourd’hui comme elle l’abordait à ses débuts. Selon Sonya Yoncheva aujourd’hui, Le Couronnement de Poppée est une « œuvre de la provocation, de l’ambition d’une femme sans limite » : pour la cantatrice, Poppée est d’abord « une femme qui aime... qui aime un homme, l’argent, le pouvoir, la politique et qui s’aime elle-même », le personnage apparait comme une « exagération outrancière de l’être humain, avec ses qualités mais aussi sa part la plus sombre ». Lorsque Sonya Yoncheva interprétait le rôle pour la première fois il y a quelques années, elle était alors encline à juger le personnage de Poppée : « pourquoi ne peut-elle pas se contenter d’aimer son époux Othon ? Pourquoi s’infliger et infliger de tels agissements ? » Mais aujourd’hui, alors que la cantatrice revendique « davantage de maturité », elle indique « mieux appréhender le comportement de Poppée et mieux comprendre qu’il s’agit là du reflet de comportements très humains ».

Et en son temps, c’était précisément le propos de Claudio Monteverdi pour son dernier opéra : avec le librettiste Giovanni Francesco Busenello, le compositeur entendait tendre un miroir à ses contemporains pour leur donner à voir un récit immoral sur la tyrannie et les intrigues de pouvoirs, mais se déroulant dans une société antique décadente, sans lien direct avec les mœurs « civilisées » du XVIIème siècle. À Salzbourg, le metteur en scène Jan Lauwers devrait manifestement afficher moins de pudeur : il entend s’approprier le miroir que Monteverdi tendait à ses contemporains, mais avec l’ambition d’y refléter cette fois une société solidement ancrée « dans la réalité, en proie à ses excès, ses crises d’identité et son obsession du pouvoir ». Selon le metteur en scène, depuis Monteverdi, le monde a connu le siècle des Lumières et l’avènement de la raison : « les dieux sont morts, ont perdu leur statut et font pénitence », permettant aux personnages de donner libre cours à leur « obsession du pouvoir, de l’intrigue, de la cruauté, de la violence et de la manipulation, qui triomphent sur un fond de beauté baroque ». Une vision de l’œuvre qui semble faire écho à la lecture « mature » qu’en fait aujourd’hui Sonya Yoncheva.
Pour autant, aussi sombre que puisse être le livret du Couronnement de Poppée, selon William Christie, « L’incoronazione di Poppea reflète les contradictions et la fragilité de l’âme humaine de façon certes dérangeante mais aussi fascinante », et le chef d’orchestre considère aussi que « l’émotion nait directement de la partition de Monteverdi ». À ce titre, « pour transmettre (cette émotion) au public contemporain, (sa) première mission avec Jan Lauwers consiste à respecter scrupuleusement la musique, telle qu’elle a été écrite par le compositeur ». On pourra découvrir cette lecture musicale et scénique de l'oeuvre de Monteverdi sur la scène de l'Haus für Mozart de Salzbourg, à partir du 12 août prochain. 

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