Quand Otello sombre dans la médiocrité

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Mal chanté et plus mal encore mis en scène, cet Otello, le chef d’œuvre de Verdi, sur un livret d’Arrigo Boito – encore un chef d’œuvre –, adapté d’un autre chef d’œuvre de Shakespeare, sombre gauchement dans la médiocrité pour son retour sur la scène du Liceu, après presque dix ans d’absence. Il n’est pas aisé de gâcher trois chefs d’œuvres, mais on y a pourtant réussi à cette occasion.

La production situe l’œuvre dans un camp de réfugiés. Outre l’effet de mode maladroit, ce choix altère profondément les relations et l’équilibre entre les personnages, pervertit les enjeux dramaturgiques originaux et pousse surtout le texte jusqu’à l’incohérence. On n’y gagne rien et on y perd beaucoup.

Visuellement, cette production provenant de la Deutsche Oper de Berlin et signée par Andreas Kriegenburg comme metteur en scène et par Harald Thor à la scénographie, offre un puissant impact initial, avec ses sept étages de lits superposés où s’entassent les réfugiés (le chœur). Cependant, cette disposition scénique révèle rapidement de lourdes limitations, tant acoustiques que dramaturgiques. D’abord, elle écrase le son du chœur, qui doit chanter du fond de la scène sans que les chanteurs puissent s’écouter entre eux, et ensuite, elle anéantit chacune des scènes intimes et secrètes de la monstrueuse manipulation que Jago exerce sur le reste des personnages. Et bien qu’Otello requiert un grand chœur, en termes dramaturgiques, l’opéra de Verdi n’est pas une « œuvre de chœur » ou « collective », mais bien une œuvre de « personnages », « d’individualités », du pure Shakespeare, que cette mise en scène dénature.

Du point de vue musical, force est de constater que le résultat est d’un très bas niveau. La production arrivait sur scène décimée par les annulations : les deux Otello initialement prévus (Aleksandrs Antonenko et Stuart Neill) ont été remplacés par José Cura dans le premier casting et Carl Tanner et Marc Heller dans les suivants. Sur les deux Desdemone prévues, la première manquait aussi à l’appel et la seconde, l’albanaise Ermonela Jaho, est passée au premier casting, avec Maria Katzavara prenant la deuxième place.

José Cura étrangle des Desdemones depuis des années – et peut-être depuis trop d’années. Les dernières en date au Liceu, il y a presque dix ans, étaient déjà ses victimes. La voix, qui n’a peut-être jamais été celle du ténor « di forza » requis par le rôle, tient toujours le « squillo » dans les aigus mais est devenue opaque et faible dans le registre intermédiaire. Le phrasé, souvent de style vériste, est déroulé trop librement, trop distinct du chant de ses partenaires et de ce que l’orchestre proposait – au prix de quelques décalages.

Marco Vratogna n’est pas un bon Jago. Il articule bien et est toujours parfaitement compréhensible, mais il crie continuellement et il utilise à peine la mezza voce. En outre, la mise en scène tend à remplacer la nature fondamentalement raffinée et maléfique du rôle (l’un des rares purs « méchants » du répertoire),  par une obscénité grossière.

Ermonela Jaho chante parfaitement le rôle de Desdemone. Sa voix lyrique, avec peu de graves et une portée dramatique limitée, a néanmoins souffert dans les affrontements avec Otello, mais s’avère le parfait véhicule pour interpréter sa grande scène finale.

Parmi les personnages restants, Vicenç Esteve Madrid se distingue dans le rôle de Roderigo, tout comme Olesya Petrova en Emilia. En revanche, la prestation très décevante d’Alexey Dolgov en Cassio s’avère inacceptable.

Le chœur, contraint de chanter dans des conditions très inconfortables, offre une prestation correcte, néanmoins ponctuée occasionnellement d’une tendance à produire un son désagréablement discordant.

L’orchestre est resté uni, sans relief particulier, mais certes loin d’être le pire élément de la soirée. La direction musicale de Philipe Auguin, faisant ses débuts au théâtre, était bonne mais sans pour autant réussir à emmener une représentation qui prit fin sur des applaudissements de courtoisie, un brin découragés, et quelques huées irrités.

par Xavier Pujol

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