Così, une tragédie ?

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Mozart qualifiait son Così fan tutte de dramma giocoso. Le metteur en scène vénitien Damiano Michieletto, qui débute au Liceu avec cette production donnée pour la première fois à La Fenice en 2013, s’intéresse davantage à la dimension dramatique, voire tragique, de l’œuvre qu’à sa composante giocoso.
Il part d’une réécriture du personnage de Don Alfonso, lequel délaisse son  aspect de « vecchio filosofo » pour adopter celui d’un alcoolique cynique et aigri qui manipule et maltraite les autres personnages. De ce point de vue, la frivole mais innocente intrigue initiale, qui s’annonçait comme un traditionnel « échange de couples », devient une analyse lucide articulée autour de la fragilité des sentiments. Così est ainsi présenté comme le récit d’un développement intérieur, où le prix de l’expérience se paie cher : le renoncement à l’innocence et à l’espoir. Les personnages joueront avec le feu dangereux des sentiments, et finiront par se brûler, car le retour à la situation initiale deviendra impossible.

Afin de faire fonctionner cet ensemble, Michieletto place l’œuvre dans un hôtel de luxe moderne où le mélange tentateur du confort, des opportunités, de l’intimité et de l’anonymat favorisent les rencontres érotiques. La direction théâtrale des personnages est précise, la dramaturgie fait abstraction de la cohérence avec le texte et s’intéresse aux émotions abstraites plutôt qu’à l’anecdote. La mise en scène, reposant sur des décors giratoires, se déroule de manière fluide et enlevée – la scénographie est signée Paolo Fantin et les costumes sont de Carla Teti.

Musicalement, Così est un prodige, une exquise machinerie de précision dédiée à l’expression musicale du sentiment, particulièrement quand l’œuvre abandonne l’amusement innocent, pour entrer dans le jeu ambigu des doubles sens, qu’affectionnait tant le XVIIIème siècle.
À travers la musique, Mozart nous montre l’évolution intérieure de chaque personnage et l’enrichit avec des subtiles nuances. Comme d’habitude dans les grands opéras de Mozart, Così est musicalement très difficile à rater, mais l’œuvre et tout autant presque impossible à retranscrire à la perfection. En outre, comptant plus de scènes de groupes qu’aucun autre opéra de Mozart, l’œuvre est difficile à maintenir dans le tempo.

Josep Pons, en tant que chef d’orchestre, y réussit le soir de la première, démontrant à la fois l’expérience et le travail réalisé en amont de la représentation. Cependant, le couplage parfait ne s’atteindra sans doute que dans les prochaines représentations. L’orchestre tentait de produire une sonorité mozartienne, limpide, équilibrée entre les différentes sections. Les bois sonnaient particulièrement biens, et la dynamique était pleinement respectueuse des voix.

D’un point de vue vocal, un bon niveau général était atteint sans regretter la moindre performance, mais sans réelles surprises mémorables non plus.
Juliane Banse, qui faisait là ses débuts au Liceu, proposait une belle Fiordiligi et se sortait d’une partition exigeante. Elle atteignait son mieux avec un « Per pietà » capable de transmettre tout le trouble de son personnage et les sentiments de culpabilité qui la tourmentent – annonçant ainsi qu’au-delà de la catastrophe émotionnelle qui sous-tend Cosi,  elle pourrait être condamnée à être la plus lésée. Maite Beaumont s‘impose comme une bonne Dorabella, sympathique et légère, qui aurait été mieux encore avec un peu plus de d’éclat dans la voix. Joel Prieto, un ténor madrilène qu’on a vu jusqu’à présent au Liceu uniquement dans le rôle de Fenton (Falstaff), apparait comme un bon ténor mozartien, à la voix claire, déployant bonne projection et beau phrasé. Joan Martín-Royo figure un très bon Guglielmo, mais dans son cas également, on aurait apprécié une envergure vocale plus présente. Sabina Puértolas, particulièrement privilégiée par la production, fait honneur à son personnage et l’enrichit par sa grâce. Tout juste en fin de représentation accuse-t-elle une certaine fatigue vocale. Pietro Spagnoli était tout aussi convainquant, basculant dans le registre que son rôle impose ici dans la mise en scène, reflétant cette évolution par son expression vocale, transformant chacune de ses interventions en un dard amère et empoisonné. 

par Xavier Pujol

Così fan tutte de Mozart, au Gran Teatre del Liceu, Barcelona, 20 mai 2015.
Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu. Josep Pons, chef d’orchestre. Damiano Michieletto, metteur en scène.
Production du Teatro La Fenice (Venecia). 

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