We are eternal, l’hommage poussif d’Opera Fuoco à Lorenzo Da Ponte

Xl_dscf3569-2 © Thibault Vicq

Réussir à monter Les Noces de Figaro, Don Giovanni et Così fan tutte relève déjà de l’hommage à leur librettiste Lorenzo Da Ponte, dont la vie alla James Bond (entre Venise, Vienne, Paris, Londres et New York) méritait bien un spectacle à lui tout seul. Sauf que pour raconter une histoire captivante, il faut un tant soit peu « manipuler » le spectateur avec des éléments interactifs. Dans We are eternal, Les mémoires fabuleuses de Lorenzo Da Ponte, pour Opera Fuoco, Marie-Louise Bischofberger et Dominic Gould – ce dernier endossant le costume de l’auteur – prennent plutôt la voie d’un Secrets d’histoire aux détails laborieux, intercalant interminables dialogues et narration vieillotte à de (très) courts extraits d’œuvres de Mozart, Salieri et Vicente Martín y Soler (sur des livrets du Vénitien à la plume). Le texte parlé, en quantité abusive, a beau témoigner d’une recherche fine, il traîne un pénible boulet dramaturgique – le seul choix des airs aurait fait un concept dramaturgique en soi – où tout est trop écrit, trop sérieux, trop sage, trop lourd. Maladroit et wannabe fun, le projet ne semble destiné à captiver que ceux qui l’ont construit, un peu comme les private jokes qui ne méritent pas de sortir de leur cercle restreint. La musique, censée illustrer les étapes d’une vie en identités démultipliées, n’importe finalement guère, puisqu’elle ne sert que de faire-valoir à la prose. Doit-on préciser que la mise en scène (de la co-auteure) creuse encore davantage le tombeau de l’entreprise par excès de ringardise ? La désolante direction d’acteurs, digne d’un show du Puy du Fou, achève de dévitaliser ce parcours méconnu.

On aurait pourtant pu mordre à l’hameçon de ce pari scénique, qui part de la création étatsunienne de Don Giovanni dans un théâtre new-yorkais en 1826, pour ensuite tirer le fil d’une vie de masques, de salons, de bons termes impériaux (avec Joseph II) et de voyages. Mais le traitement l’a voulu autrement... On ne peut cependant pas enlever l’entrain et le sérieux homogène de l’orchestre d’Opera Fuoco – à l’exception du premier hautbois – et de David Stern. Le chef s’applique à peaufiner un squelette instrumental bien bâti, réaliste et crédible, comme une fontaine de résurrection de personnages si proches. Il évoque avec le même talent la poussière en suspension de Vienne que les réseaux éduqués des villes européennes aux XVIIIe et XIXe siècles. Sous son geste précis, les pièces musicales font l’effet de dioramas aux équilibres léchés et aux atmosphères bien délimitées. Si on regrette à certains moments la discrétion générale du son, qui déleste certains airs de leur sensualité, on ne peut guère en tenir rigueur au chef dans ce contexte où la musique reste par principe au second plan.

Les solistes de l’Atelier Lyrique Opera Fuoco ne déméritent pas. La soprano Axelle Fanyo jauge toujours avec sincérité la théâtralité de la musique de Mozart, et c’est justement quand elle interprète le questionnement qu’elle est la plus touchante. Elle installe un balancier des harmonies, concentre des secrets qu’elle révèle en aigus affirmatifs, installe des élans successifs qui insufflent une direction à la ligne. En dépit d’un légato parfois fragmenté et d’une présence trop marquée dans les ensembles, elle impose sa patte dans l’espace. La mezzo Anne-Lise Polchlopek possède le mordant et le style, dans son dessin en cascade d’une pensée évoluant au fil de la mélodie. La souplesse de Guy Elliott soutient des phrases qui caressent la partie instrumentale, même si son approche en zooms de certaines notes n’ouvre pas toujours les chemins de la clarté. Adrien Fournaison, aux petits soins, et Aymeric Biesemans, complètent la distribution, où la musique, noyée dans un amas de textes, n’aura jamais paru aussi indispensable.

Thibault Vicq
(Paris, 19 avril 2023)

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