Un violon sur le toit gagnant à l’Opéra national du Rhin par Barrie Kosky

Xl_b_acte_1_violon_sur_le_toit_gp_4383_photoklara_beck_cast1 © Klara Beck

Un violon sur le toit (Fiddler on the Roof) n’est pas une comédie musicale comme les autres. Jouée pour la première fois à New York en 1964, sur une partition de Jerry Bock, un livret de Joseph Stein, des lyrics de Sheldin Harnick, une mise en scène et des chorégraphies de Jerome Robbins (déjà aux commandes de West Side Story, sept an splus tôt), elle rompt avec la structure traditionnelle entre numéros rutilants de grand spectacle et duos d’amour fou.


(c) Klara Beck

Avec neuf Tony Awards, le premier musical à dépasser les dix ans d’exploitation à Broadway a joui d’un succès public et critique considérable. Pourtant, le sujet appartient à du théâtre presque documentaire, traité avec la proximité émotionnelle du théâtre musical : l’intrigue se resserre autour du noyau dur d’une communauté juive (schtetl) en Russie, fin XIXe début XXe, au moment de l’oppression chrétienne consentie par le pouvoir en place. Comme dans Cabaret, créé en 1966 et ayant pour toile de fond la puissance croissante du régime nazi et de ses exactions à Berlin dans les années 30, le zoom sur les personnages fait comprendre leur contexte sociétal, et les peurs trahies par leurs interactions humaines. Plusieurs ruptures ne cantonnent pas le ton au drame, tel qu'en témoignent la vertu récréative des deux scènes dansées de liesse (une annonce de mariage et une union) dans la première partie et l'écriture du personnage principal de Tevye, tiraillé entre sa fidélité à Dieu et le bonheur des siens, dans de drôlatiques monologues. La seconde moitié dessine l'après : le départ forcé des terres, sous une neige qui tombe inlassablement.

Les usages et l'émancipation restent les deux piliers dominants de cette immersion. Le livret prend le soin de décrire le mode de vie du schtetl dès la scène introductive (le chœur "Tradition", très punchy). Une fois les bases posées, on suit aisément les conflits internes du laitier Tevye et de sa femme Golde, dont le plus grand bonheur serait de marier leurs cinq filles, qu'ils chérissent par-dessus tout. Alors que chaque prétendant devrait demander la main de sa dulcinée au père, les choses sont plus complexes que prévu... Tzeitel aime le tailleur Motel plutôt que le boucher Lazar qui lui a été imposé par sa famille, Hodel a jeté son dévolu sur Perchik – un révolutionnaire arrivé dernièrement au village –, et Chava souhaite s'enfuir avec le chrétien-orthodoxe Fyedka. La marieuse Yelte a déjà des idées de garçons potentiels pour les deux (très) jeunes dernières filles. Les craintes économiques de Tevye (l'optimiste "Ah ! Si j'étais riche") et la dégringolade de dignité subie par la communauté, mettent leur grain de sel dans cette perte de repères face au changement de mentalité des générations nouvelles et à l'impression de trahison envers les anciens.


(c) Klara Beck

La pièce ne propose ni de soutenir ni de rire du patriarcat, mais de s'imprégner des valeurs portées par ce groupe et de pénétrer les mécanismes de décision. Le metteur en scène australien Barrie Kosky a la superbe idée d'illustrer le bagage culturel par du mobilier ancien, d'abord agencé en Tetris pour former un mur de décor. Les personnages entrent et sortent des placards, individuellement ou en hordes. Il fait ainsi part du mode de vie frugal et de la théâtralité comique du langage. Ce sont ces mêmes armoires qui servent de lits et qui vont être empilées au moment de l'exil, avant d'être pillées par les pogroms : une histoire spoliée, volée, niée. C'est sur une table retournée que la famille de Tevye devra se parquer, sous un déversement de lait par les oppresseurs (une scène forte, qui montre l'humiliation des Juifs par un mépris de leur maternité). Au deuxième acte, un plateau nu sous la neige, où s'implante un meuble seul, dernier rempart contre la barbarie, et bribe de résistance au service d'un espoir commun. Le plateau tournant permet au directeur de la Komische Oper de Berlin (où il a créé cette production en 2017) de gérer les foules de façon impressionnante, dans peu d'espace ou dans une étendue blanche. Les entrées et sorties, savamment imaginées, se font de partout ; et les arrêts sur images délimitent le temps de la pensée pour soi et le temps du groupe. Les stimulantes chorégraphies d'Otto Pichler (servies par des danseurs au top de leur forme), et les stupéfiantes lumières de Diego Leetz, projetant des ombres mouvantes en feux follets ou partageant la lecture ultra-limpide des intentions de Barrie Kosky en éclairages pointés, s'intègrent en toute simplicité au plateau.


(c) Klara Beck

Le succès du spectacle ne serait pas le même sans l'imposante qualité théâtrale de sa distribution réunie par l'Opéra national du Rhin dans cette version en français. La jeunesse l'allie à un chant exigeant : tendre et onctueuse Tzeitel (Neïma Naouri), Motel en feux d'artifice (Alexandre Faitrouni), Hodel pleine d'esprit et d'agilité cotonneuse (Marie Oppert), souriant Perchik de réglisse (Simon Bertrand), Chava vanillée (Anaïs Yvoz) et Fyedka charmeur (Bart Aerts). Si le timbre à croquer de Golde, interprétée par Jasmine Roy, ravit l'oreille, la justesse des vocalises demeure perfectible. Olivier Breitman, lui aussi souvent bas, restitue cependant parfaitement la repartie, la détermination et les incertitudes de Tevye dans les passages parlés. Les Chœurs de l'OnR s'écoutent et se divertissent ensemble. Quant à Koen Schoots, à la baguette, il mène vaillamment un Orchestre symphonique de Mulhouse vitaminé et plein de vibrations positives vers une éclosion permanente, et un swing salvateur. Un petit point noir, cependant : le placement du micro des chanteurs est à l'origine de quelques accrocs, qui devraient trouver une solution dans les prochaines représentations.

 

Encore un exemple gagnant qui prouve qu'une maison d'opéra prenant au sérieux une comédie musicale ouvre son répertoire sans faux pas, de surcroît avec une magie que le public lui rend admirablement bien.

Thibault Vicq 
(Strasbourg, 6 décembre 2019)

Un violon sur le toit, jusqu'au 17 décembre 2019 (Strasbourg) et les 10 et 12 janvier 2020 (Mulhouse) à l'Opéra national du Rhin

Crédit photo (c) Klara Beck

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