Un Faust assuré ouvre la saison de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège

Xl_j._osborn_-_n._machaidze_-_e._schrott___j-berger_orw-lie_ge © J. Berger-ORW Liège

Dans ses fumeuses notes d’intention sur la nouvelle production du Faust de Gounod en ouverture de saison 2025-2026 de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, le metteur en scène Thaddeus Strassberger apporte des réponses de Normand. Marguerite ne serait pas si naïve, Méphistophélès ne serait pas si méchant, Faust ne serait pas si perdu. Tous les personnages se situeraient à un certain point entre deux pôles opposés, et en auraient les deux caractéristiques.

Dans les faits, il n’aurait pas pu être plus littéral sur l’œuvre, en dépit d’intégration d’éléments de science, de culture populaire du sud de l’Italie et de la Bible qui posent des questions et noient le poisson plus qu’ils n’enrichissent un regard. En définitive, il cherche l’opulence en oubliant d’en développer le sens, comme dans sa Traviata de l’année dernière. On a du mal à comprendre ses critères de sélection dans le livret lorsqu’il sort la grosse artillerie de décors, ou son manque d’implication dans les interactions entre les personnages. C’est propre et bien mené, sans faux pas. Les pistes évoquées par Thaddeus Strassberger dans son texte de programme – le transfert de Faust à Méphistophélès, l’exorcisme de Marguerite, les figures centrales d’Adam et Ève – apparaissent bien ponctuellement, mais s’évaporent en un rien de temps pour ne plus jamais revenir. On se demanderait presque s’il ne s’est pas auto-censuré en réflexion sur l’autel du grand spectacle. Reste une production honnête, agréable à regarder, quoiqu’assez interchangeable.

Faust - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2025) (c) J. Berger / ORW Liège
Faust - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2025) (c) J. Berger / ORW Liège

La pétulance sied également à la direction musicale de Giampaolo Bisanti, dont on continue à attester le talent dans le répertoire français après Werther en avril 2025, avec une teneur essentielle du propos dans toutes les mesures. Chaque début d’air fait l’effet d’un rideau qui se lève : en quelques temps, le caractère est déclaré. Le chef chérit les rapports d’égalité avec la scène, et les instrumentistes acquièrent une importance capitale, voire soliste. Sa conception du non-accompagnement implique un romantisme éminemment chanté, à l’émotion engagée. La « physicalité » des tableaux musicaux – tels que la valse du deuxième acte – se devine aussi tantôt dans l’élan des pupitres que dans le poids des notes, individuel et collectif, transmis par la fosse. Le son droit qu’on entend n’est pourtant pas univoque. Dans l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, les essaims de cordes diffusent la lumière de l’aurore, s’épanchent en glissandi assumés, articulent sans se perdre dans le détail, pour une ligne où le chemin musical est la priorité. Les vents écrivent, main dans la main avec elles, dans la même densité, une histoire majestueuse – beauté pure des solos de clarinette et de cor –, que Verdi n’aurait pas reniée, tandis que les percussions procurent une caution brutale et animale, bienvenue.

Faust - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2025) (c) J. Berger / ORW Liège
Faust - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2025) (c) J. Berger / ORW Liège

Le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, préparé par Denis Segond, va de l’avant et entraîne dans les bas-fonds autant qu’il soulève l’âme. Avec Julie Bailly, Marthe s’étoffe de caractère et pétille vocalement. Les notes longues et le légato sont des atouts pour Markus Werba, Valentin implacable à la voix agile et tissée en empreintes. Elmina Hasan, Siebel au sommet, est une révélation, créatrice d’un splendide flux exalté, soutenu et texturé. Erwin Schrott instille un paradis de la projection sur toute la tessiture, en une skyline de formes en surbrillance mêlée de nonchalance. Avec une voix plus mouvementée que la phrase en soi, il compose un Méphistophélès un peu statufié, qui malgré un charisme indéniable, manque un peu de dose fantastique. Une fois passé le cap de l’acceptation d’une langue française peu intelligible, on est scotché par le sillage sonore de Nino Machaidze et la métamorphose de son timbre singulier, sincère et presque rocheux, au service d’une ligne vaillante. On s’interroge cependant sur certains accès gutturaux et une émission parfois brusque qui atténue la subtilité de ses forte. On n’a d’oreilles que pour l’insensément splendide Faust de John Osborn, pour la limpidité de la langue et la traduction complète par le chant des situations (de la naïveté entreprenante à la fascination timide). L’élan du jeune premier et la rage de vivre culminent dans un contrôle ahurissant de l’instrument et d’un souffle jouant à cache-cache avec le son. Ce passeur de cœur et interprète du tout est l’étoile au firmament de cette production.

Thibault Vicq
(Liège, 18 septembre 2025)

Faust, de Charles Gounod, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège jusqu’au 20 septembre 2025

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