Sondra Radvanovsky et Nicola Luisotti donnent raison à Un bal masqué au Teatro alla Scala

Xl_0h3a5455_ph_brescia_e_amisano___teatro_alla_scala © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

Un Verdi à la Scala fait forcément la joie de tous les amateurs d’opéra, qui peuvent se déplacer les yeux fermés pour entendre une tradition perpétuée. Rouvrir les yeux devant la nouvelle proposition sur Un bal masqué par Marco Arturo Marelli ne fait pas que du bien à la rétine, étant donné le repoussant décor qu’il a lui-même confectionné, fatras d’imprimés de coupoles sur des blocs-piliers amovibles. Les combinaisons scénographiques – pas très heureuses, hormis une sorte de pont d’autoroute à l’acte II –, sous un préau dessinant un point de fuite vers le fond de scène, sont là pour signifier la confusion des personnages. Sauf que la mise en scène s’empâte dans une ringardise qui ne sert même pas la clarté cristalline de l’intrigue. Surprise au moment du bal : les piliers révèlent une autre face, qui représente l’intérieur de la Scala. Pourquoi pas, mais à quoi bon, si les ressorts restent au point mort ? La tradition, oui ; le vieux théâtre, non !

Un bal masqué, Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

L’écoute forcément attentive de la fosse dans ces conditions nous confirme que tout est dans la musique de Verdi. Nicola Luisotti nous fait entendre en fosse la dramaturgie interdite à notre regard. Lui qui récemment dirigeait si bien Macbeth à l’Opernhaus Zürich, atteint les cimes dans Un ballo in maschera, avec l’appui d’une Orchestra del Teatro alla Scala en état de grâce. Il donne le dessus à la vengeance sur la magie, élabore un alliage entre rondeur sonore et exactitude du rythme. Aquaplanage fantastique des tissus instrumentaux ou parallélisme des parties, pourquoi choisir ? Le maestro ne chôme pas, il prend la musique par l’ensemble de ses portes d’entrée et tire somptueusement le fil des enjeux. Quand il retient la libération des accords par un léger retard volontaire des notes qui les constituent, les harmonies se vivent en rebondissements frappants. Quand il apporte une pâte texturale immédiate, l’oreille et le corps du spectateur se téléportent dans le cœur du cratère en effusion. L’opéra dont vous le êtes le héros, Nicola Luisotti l’a encore fait.

Un bal masqué, Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

Comme dans le précédent Bal masqué scaligène le 2013 (pensé par Damiano Michieletto), Sondra Radvanovsky est Amelia. Et quelle Amelia ! Sans notions d’histoire, nous pourrions jurer que le rôle a été écrit pour elle. Elle est l’aimant humain d’une bestialité passionnée, qui par de bouleversantes phrases gigognes et d’hypnotiques substances musicales, ne peut que nous faire nous incliner devant cette immersion à 360 degrés par le corps et l’esprit. La soprano canadienne pose l’amour en ultimatum, sans conditions. La déclaration d’Amelia à Riccardo nous laisse bouche bée : simplicité et omnipotence, plaisir cathartique et douleur déchirante. Ce n’est que justice que ses airs reçoivent de titanesques ovations. Face à elle, Francesco Meli paraît un peu falot, non pas à cause de la voix, nette buveuse de songes, s’adaptant à n’importe quelle intempérie, mais plutôt à cause de trop nombreuses « absences » musicales. Le gouffre majeur entre sa partition torturée et sa ligne placide témoigne de la sous-exploitation d’une très belle voix. Celle de Luca Salsi parvient au contraire drue et flétrie à notre oreille. La ligne se transforme en une série d’ébauches embarrassées compromettant la bonne destination de placement, malgré une projection solide. Les sortilèges de Yulia Matochkina œuvrent, grâce à un chant qui porte le poids de l’héritage et des sentiments enfouis. Les conspirateurs de Sorin Coliban et Jongmin Park font la paire, pour la largeur de leur empreinte, et Federica Guida campe un Oscar porté à l’incandescence. Le majestueux Coro del Teatro alla Scala veut tellement bien honorer la partition qu’il a étonnamment tendance à courir devant les instrumentistes. Il ne faut pas faire attendre le boss Verdi !

Thibault Vicq
(Milan, 4 mai 2022)

Un bal masqué, de Giuseppe Verdi, au Teatro alla Scala (Milan) jusqu’au 22 mai 2022

N.B. : les 19 et 22 mai, les représentations seront dirigées par Giampaolo Bisanti, et les rôles de Renato et Ulrica seront chantés par Ludovic Tézier et Okka von der Damerau

Crédit photo © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

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