Les Bains macabres à l’Athénée : les débuts étincelants de Guillaume Connesson à l’opéra

Xl_xl__5d_5256 © (c) Nicolas Descoteaux

Longtemps mû par le fantasme (en gestation) du genre lyrique, le compositeur Guillaume Connesson se jette enfin à l’eau avec Les Bains macabres, opéra-comique-thriller créé fin janvier au Théâtre Impérial de Compiègne (co-commanditaire de l’ouvrage avec Les Frivolité Parisiennes). Si ses pièces symphoniques et son répertoire de musique de chambre auguraient, par leur mise en images projetée à base de didascalies, de son savoir-faire en la matière, il opère une synthèse adroite entre la dévotion à la forme d’art opératique et son propre langage, dans une œuvre en phase avec les préoccupations des spectateurs du vingt-et-unième siècle. Les grands maîtres pluridisciplinaires de Guillaume Connesson sont reconnaissables entre mille : le burlesque de Chostakovitch (moins désabusé, cependant), l’immersion dans le brouillard – en néons ou en fumée – de Bernard Herrmann, les volumes imposants de Carl Orff, et l’attraction rythmique de Stravinsky jalonnent Les Bains macabres de zèle forain au service de l’efficacité et du divertissement. Avec pour matière première un orchestre mozartien, une harpe, un synthétiseur et des percussions, il aménage une palette de matières post-tonales sans redite, dont la richesse étourdit. Cette musique pourrait se greffer à un film, à une pièce, à un ballet ou à la vie, tant elle sonne naturellement, tant elle est littéralement la projection de son propos, tant elle s’avère familière. Il arrive que le swing le plus débridé envahisse la fosse, que la musique déborde du cadre, et c’est une excellente nouvelle ! Le compositeur n’impose pas de dichotomie entre ce que devrait être une musique d’opéra et ce à quoi la musique devrait ressembler hors de l’enceinte du théâtre. L’hybridation fait mouche du début à la fin, grâce à un orchestre des Frivolités Parisiennes des grands jours. Soucieuse des équilibres et des textures, la formation parvient à une lisibilité très accomplie avec le chef Arie Van Beek. Les instrumentistes intègrent remarquablement leur jeu aux atmosphères vaporeuses, crépusculaires ou décalées qu’offre cet opéra-polar, qui donne à voir clairement ce qui est entendu.

Au bord de la Méditerranée, les Bains Terminus accueillent les victimes de rhumatismes en tous genres pour des cures thermales aux petits soins avec Célia Verdier, employée modèle sous la croupe de son cynique et lubrique patron Nestor Gobineau. Des décès à répétition dans l’établissement attirent l’attention de Miranda Joule et Prosper Lampon, deux policiers décidés à découvrir les coulisses des hammams et bassins aux vertus réparatrices en interrogeant les morts eux-mêmes. Pendant ce temps, Célia file le parfait amour sur internet avec Mathéo, le fantôme d’un client des Bains Terminus qui lui promet monts et merveilles, et surtout un mariage dans un futur proche…

L’écrivain Olivier Bleys, aussi sensible aux croisements artistiques que Guillaume Connesson, a élaboré un livret enlevé, drôle et haletant à cet opéra-comique, comme un scénario de cinéma, sans pour autant agir « à la manière de ». Le monde qu’il croque tangue entre les vivants et les morts, met face à des réalités sociales (les sites de rencontre sur internet), et trouve le juste milieu entre la parodie et la substance. Le charme suranné des cures thermales tinte avec le comique des personnages (la policière autoritaire et son acolyte zozoteur, le directeur sans scrupules) mais ne sombre jamais dans le ridicule. Le tournant de l’histoire d’amour au moment où Mathéo revient sur terre surprend par l’émotion qu’il dégage : Célia découvre son fiancé pour la première fois en chair et en os lors d’un duo poignant (« Laisse-moi te regarder ») qui redistribue les cartes. À la question « qu’est-ce qu’être humain ?», Olivier Bleys répond avec des variations rusées et des gourmandises rhétoriques.

La mise en scène de Florent Siaud (dont on avait apprécié la mise en espace sur Pelléas et Mélisande à l’Opéra National de Bordeaux il y a deux ans) colle intelligemment tous les morceaux du puzzle. L’intérieur des bains, du logement de Célia ou du commissariat est dévoilé par des surfaces coulissantes translucides, alors que les trépassés vivent dans un paradis de fumée situé dans les hauteurs. Les environnements neutres et pratiques, quoique délimités, exaltent la facilité du glissement d’un monde à l’autre et vont à la perfection au genre de l’opéra-comique, alternant dialogues parlés et airs chantés. Priorité au concret, en tout cas, à commencer par une jubilatoire scène d’ouverture avec des baigneurs dans de drolatiques exercices d’échauffement !

La soprano Sandrine Buendia confirme l’immense talent qu’elle avait fait transparaître dans Bohème, notre jeunesse à l’Opéra Comique, à l’été 2018. Un timbre végétal et fluide la guide dans d’admirables lignes vocales tricotées à partir de l’énergie de la musique. Une étoile à suivre ! Les deux enquêteurs sont campés avec un élan délectable : Anna Destraël, au chant mordoré et ambré, et Geoffroy Buffière, millimétré et pimpant, remportent tous les suffrages. Romain Dayez campe un Mathéo spectral et boisé, à l’impressionnant légato et au phrasé éthéré, mais dont la justesse reste à parfaire. Ce petit défaut est partagé par le Nestor de Fabien Hyon (excellent acteur pour sa part), pour qui la projection est pourtant un jeu d’enfant ; si les attaques sont individuellement percutantes, l’enchaînement des notes le met parfois en difficulté. Nicolas Certenais (Aristide), basse extravertie et partageuse, complète cette distribution avec un chœur Les Éléments féroce et punchy.

On ne peut que conseiller cette plongée en eaux troubles, où suspense et lyrique font bon ménage !

Thibault Vicq
(Paris, le 31 janvier 2020)

Les Bains macabres, de Guillaume Connesson (composition) et Olivier Bleys (livret) :
. jusqu’au 6 février 2020 à l’Athénée – Théâtre Louis-Juvet (Paris 9e)
. le 15 février 2020 au Théâtre de Saint-Dizier

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