Le Messie au Théâtre des Champs-Élysées : le dribble soporifique de Bob Wilson

Xl_20200915-83vp © Vincent Pontet

On a récemment redécouvert la résonance de la musique en direct, au moment du retour dans les salles de spectacle. L’ouverture de saison au Théâtre des Champs-Élysées montre aussi qu’on avait oublié à quel point on pouvait s’ennuyer lors d’une représentation.

Le Messie est créé triomphalement en anglais (à partir de textes liturgiques) en 1742 à Dublin, loin des Londoniens lassés de Haendel depuis quelques années déjà. Il faut attendre 1750 pour que l’oratorio devienne un succès à Londres, à l’occasion d’un concert caritatif (contexte qui deviendra la norme des exécutions de l’œuvre, du vivant du compositeur). Mozart s’entiche de cette partition d’effets tempétueux, et la réorchestre à la mode viennoise de son époque, notamment avec l’adjonction de bois et de cors, et la suppression de l’orgue. Le texte traduit en allemand sur commande de Hambourg, le Messiah anglophone devient Der Messias. La production de cette version rare par Robert Wilson, créée à la Mozartwoche de Salzbourg en janvier dernier, ramène enfin les spectacles lyriques mis en scène dans la vie parisienne, avant d’éclairer le plateau du Grand Théâtre de Genève début octobre.


(c) Vincent Pontet


(c) Vincent Pontet

On pique donc un peu du nez dans la grande boîte à images bleu-gris (assortie aux masques du public) imaginée par le roi de la lumière, de la distanciation physique et de la gestuelle au millimètre (une aubaine dans un monde covidé !). Le problème n’est pas tant le lave-linge de concepts et d’idées décousus au fil du spectacle (le livret est lui-même non-linéaire), mais le manque de recoupement entre eux in fine. Il préfère ôter la dimension religieuse de l’œuvre pour figurer l’ « espoir » et le « voyage spirituel », dont il trouve une composante commune dans la forme du cercle (le danseur qui tourne sur lui-même, la rotation  de branchages dans les airs), ainsi que dans l’élément aquatique (qui s’écoule d’une carafe vers une verre et inversement, le liquide de la mer, le solide du glacier). Ce simple alignement de vignettes minutieusement calibrées est visuellement satisfaisant, parfois poussif, mais à quoi bon ? Il aurait pu illustrer aussi bien Parsifal qu’un clip de Sia.

Avec la lumière musicale, l’éclat des percussions, les fondus de clarinette, on est bien chez Mozart. L’hybridation entre l’emphase baroque et les déploiements viennois de l’orchestre par Marc Minkowski, à la tête de ses Musiciens du Louvre, apparaît d’abord comme une force. Puis on se sent compressé par la lourdeur collante de la direction, par cette nécessité de tapisser la moindre surface harmonique en faisant rarement respirer les instruments. Le chef ne cherche pas la profusion, il veut installer la phrase durablement en un jeu d’éternité et s’y tenir. Les trop nombreux appuis des basses anesthésient le rendu sonore – souvent trop élevé – et on se sent prisonnier d’une cage d’écriture contrapuntique (pourtant impressionnante) sévèrement exécutée. Restent cependant quelques vents iodés et un art de la résonance qui ne gâchent pas complètement le plaisir.

Dans cette partition qui est un piège à chœurs, le Philharmonia Chor Wien s’en sort tant bien que mal. Si on accepte de ne pas lui tenir rigueur des décalages dans les fugues, son pupitre de ténors gagnerait toutefois à se canaliser davantage. Comme une épingle tout à tour piquante et voyageuse parmi le tissu de Haendel, il coud un lien de confiance avec l’orchestre. Stanislas de Barbeyrac est étincelant en voix du soleil levant avec l’expérience du soleil couchant : il fait scintiller chaque note, sort du cadre, fait s’envoler la ligne dans les volumes de Bob Wilson. S’il arrive à la soprano Elena Tsallagova de se perdre dans une projection trop forcée dans la première partie, elle entame ensuite solidement sa mue vers des textures aériennes très appréciables. La subtilité du timbre d’agneau de Helena Rasker est malheureusement couverte par Les Musiciens du Louvre, mais apporte une couleur rêveuse à ses arias. Sur la durée, la voix semble malgré tout trop contenue et horizontale, sauf sur un magnifique duo avec le ténor. José Coca Loza chante majestueusement ses récitatifs, et les pages solennelles avec un épanchement magnétique. Dommage que la précision s’en aille quand les valeurs de notes diminuent.

Bob Wilson peine donc à se renouveler, à la différence qu’il semble ici la jouer solo, loin du public et loin de la musique. Le choc du retour à la vie scénique sonnera plus tard…

Thibault Vicq
(Paris, 18 septembre 2020)

Der Messias, de Georg Friedrich Haendel, adapté par Wolfgang Amadeus Mozart :
- jusqu’au 19 septembre au Théâtre des Champs-Élysées (Paris 8e)
- les 4 et 5 octobre au Grand Théâtre de Genève

Crédit photo (c) Vincent Pontet

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