La Chauve-souris dévoile les talents de demain au CNSMDP

Xl_2021_lucie_leguay__christineledroitperrin-20207261__md © Christine Ledroit-Perrin

Si certains lisent l’avenir dans le marc de café, c’est plutôt du côté des établissements d’enseignement artistique et des académies qu’on peut faire les pronostics les plus sûrs sur l’art lyrique de demain. Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) réunissant ses étudiants instrumentistes et chanteurs pour plusieurs représentations d’une Chauve-souris mystérieuse dans sa mise en scène signée Nicola Raab, mais revigorante dans son interprétation, c’est le moment de faire de belles découvertes !

Dans la fosse, Lucie Leguay, qui a déjà travaillé en tant que cheffe assistante auprès de l’Ensemble intercontemporain ou de l’Orchestre National de Lille, se détache brillamment des traditions dont l’opérette peut parfois pâtir. Elle appose une vraie personnalité au cours des événements en faisant du tempo une semence qui lui permet de nombreuses audaces sur la matière sonore. Sa direction aiguisée sert de base à un arc des possibles. Dans la valse mélancolique, la polka sablonneuse ou la scotchante effusion romantique, le tact demeure. Elle assure les changements de métronome dans une impressionnante continuité et veille à lester régulièrement la pâte instrumentale des amas qui pourraient empêcher l’émulsion fluide des instrumentistes en action. Et comme La Chauve-souris n’est pas qu’une œuvre monolithique aux sourires figés, Lucie Leguay reconstitue tous les états du champagne par sa baguette vivace, dès la première gorgée et jusqu’à la dernière goutte : bien frais, un peu chaud, ouvert depuis trop longtemps, défait de ses bulles, ou montant à la tête, mais toujours au goût prononcé. L’incomparable Orchestre du Conservatoire de Paris se montre réactif à ces rebondissements sur un chemin de fer sans trous, excelle dans la variété des articulations, met les mains dans le cambouis avec beaucoup d’esprit.

Les chanteurs présents devraient également pointer dans de belles institutions lyriques ces prochaines années, à commencer par Benoît Rameau, qui campe un Eisenstein à la phrase féconde, dévoué à la beauté de l’émission et à l’enrichissement constant du discours musical. Parveen Savart (Rosalinde) capture chaque note en un berlingot savoureux grâce à son agréable timbre vanille-poivre et à son onctueuse griffe technique. YeongTaek Seo, soutenu par des consonnes lancées en étincelles saillantes, est sidérant de luminosité. Matthieu Walendzik, lauréat du Jardin des voix (des Arts Florissants), sculpte une argile vocale avec une serpe d’or, dans un enthousiaste chant fruité. L’Orlofsky de Floriane Hasler stimule par son élasticité et ses talents de conteuse, Aymeric Biesemans convainc par sa jovialité et sa précision, et Clémence Danvy tapisse l’espace sonore d’une projection affirmée.

Nicola Raab perd quelque peu le spectateur dans ses intentions de jeu de rôle et de mise en abyme du travestissement artistique (sachant que les dialogues parlés, en français, sont fortement réduits), mais soigne sans relâche l’esthétique de ses sombres tableaux, en particulier au deuxième acte, sous le pouvoir des lumières de David Debrinay. La fête d‘Orlofsky prend des airs de rude compétition où chaque personnage, scruté par l’ensemble des autres, doit faire ses preuves pour exister. Le solaire Chœur du Conservatoire s’acquitte d’ailleurs d’une fonction presque martiale. Le regard est prépondérant et la transition floue entre la personne et l’artiste s’avère des plus abouties. Les textes sur l’insatisfaction récités par Sébastien Dutrieux (Frosch) résonnent avec d’autant plus d’amertume. L’attractif ballet de l’acte II, chorégraphié par Bruno Bouché sur un remix électro du Beau Danube bleu, a été préfilmé avec les étudiants de la direction des études chorégraphiques et procure du sang neuf à ces pages qui, bien traitées et couplées au tempérament décidé des jeunes artistes de la soirée, aident à perpétuer l’héritage suranné de La Chauve-souris au XXIe siècle.

Thibault Vicq
(Paris, 5 mars 2022)

La Chauve-souris, de Johann Strauss fils, au Conservatoire de Paris (Paris 19e) jusqu’au 9 mars 2022

N.B. : Marie Lombard interprètera le rôle d’Adele les 7 et 9 mars 2022

Crédit photo © Christine Ledroit-Perrin

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