Jonathan Tetelman exhibe sa palette vocale au Festival Perelada

Xl__tf_5431 © Toti Ferrer

Cette année, le Festival Castell de Peralada – renommé « Festival Perelada » pour des raisons juridiques relatives au Grup Peralada, qui gère notamment les privatisations du château – est en transition pendant la construction de son futur auditorium permanent, mais ne chôme pas pour autant dans sa programmation. Après Freddie De Tommaso, Diana Damrau et Nicolas Testé, c’est au tour de Jonathan Tetelman de s’emparer de la scène de l’Iglesia del Carme, avec le pianiste Daniel Heide. Si on connaît le bagout opératique du ténor américano-chilien – Stiffelio de Verdi ou Tosca de Puccini, il explore ce soir la chanson napolitaine – territoire d’ailleurs récemment sécurisé par Freddie De Tommaso, qui a interprété pour sa part Verdi et Puccini quelques jours plus tôt à l’église, les rôles s’étant inversés ! –, du lied et de la zarzuela. À la fin du récital, on a le sentiment d’avoir vécu une aventure larger than life, d’avoir foulé une multitude de reliefs musicaux, parfois à la limite du bon goût, mais véritablement revigorants.

Les Trois Sonnets de Pétrarque de Liszt font office d’introduction parfaite, et sans doute de sommet de la représentation. L’instrumentiste et le chanteur possèdent deux visions très fortes, qu’ils confrontent dans un choc des titans. Jonathan Tetelman donne d’emblée le maximum sur Pace non trovo, avant d’étaler un légato romantique galvanisant, tandis que puissance et intensité alternent avec une ligne aérée et agréablement clairsemée. Le pianiste est aux manettes d’un voyage dans le multivers, influençant le passage d’une dimension à une autre dans des textures moelleuses, et parfois visqueuses. Dans Benedetto sia 'l giorno, on comprend que la démarche du ténor est dans la mignardise, comme un diaporama de saveurs et de ressources dont on n’arrive jamais à satiété. Le magma bouillant de Daniel Heide étaye l’expressivité tout terrain de son comparse, qui n’hésite pas à aller jusqu’au cri pour enrichir sa lecture. I' vidi in terra angelici costumi suit un fil rouge palpable, tout en transgressant ses limites de part et d’autre du chemin. Jonathan Tetelman lance des jump scares de douceur, cherche la fin des notes dans la résonance du piano, prend le temps d’aligner son vibrato à la puissance initiale de la note. Les touches blanches et noires, en paysage mouillé, composent une homogénéité idéale, dont la Valse oubliée, toujours de Liszt, mais sans voix, est moins pourvue en raison d’un mélange de sons créant une confusion entre le reflet du miroir et son modèle.

Les extrêmes parsèment les chansons méridionales de Paolo Tosti. Le ténor abuse peut-être d’emphase et de densité, mais restitue une panoplie d’innombrables personnages, avec des tenues de notes qui tiennent de l’hypnose addictive, aux côtés d’un pianiste qui adoucit le jeu. Chez Ernesto de Curtis, Jonathan Tetelman parvient à superposer l’avancée de la phrase et la profondeur de l’introspection, grâce à une science exacte de la durée réelle et de la durée expressive au sein de la ligne. Il devient séducteur en ébauches de badinerie bien choisies sur Torna a Surriento, que Daniel Heide oriente vers une calme fête des apparences. Celui-ci se lance dans un Asturias d’Albéniz plus que dispensable, où la pédale cannibale et les fausses notes dissipent tout espoir de clarté. Il semble en outre déchiffrer les partitions des deux pièces en espagnol, tantôt éléphant dans un magasin de porcelaine (couvrant le ténor), tantôt défaitiste à l’assurance flottante. Le chanteur garde malgré tout le cap d’un flow très rubato dans Granada – qui peut au besoin fatiguer, selon les goûts –, expose des rythmes incisifs et béatifie la partie lente de No puede ser. L’heure est en fait à l’opéra, tel qu’il l’a montré plus tôt dans un air de Macbeth de Verdi, dont on se rend compte plus tard que l’espace ample, concourait à former peu à peu un show à l’américaine. Les trois bis – allemand pour Le Pays du sourire, italien pour le Nessun dorma de Turandot, napolitain pour Funiculì, funiculà – confirment que Jonathan Tetelman se soucie (beaucoup) moins d’articulation que d’une approche blockbuster populaire à l’ostentation parfois discutable, quoiqu’au bout du compte, hautement entraînante.  

Thibault Vicq
(Peralada, 3 août 2023)

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