Cecilia Bartoli et Sol Gabetta à l'unisson à la Philharmonie de Paris

Xl_bartoli_gabetta_c_decca_esther_haase_q_0 © Decca-Esther Haase

Après l’album Dolce Duello, paru le mois dernier, la tournée européenne du même nom fait escale à la Philharmonie de Paris. C’est le moment de donner chair à l’univers rose bonbon affiché depuis quelques mois par la mezzo-soprano Cecilia Bartoli et la violoncelliste Sol Gabetta sur les visuels officiels. Si du « doux duel » subsiste la virtuosité des deux interprètes, c’est surtout le plaisir de la musique de chambre qui prime. Pas de clash dans des battles effrénées, mais un plaisir communicatif et fair-play à partager un son hors pair. Deux femmes, une seule coupe. À vos marques.

Andrés Gabetta (frère de Sol) dirige l’ensemble Cappella Gabetta avec style et ténacité depuis son pupitre de violon soliste, et arbitre ce programme enchaînant près d’un siècle (1687-1782) de pièces plus ou moins rares, mettant en avant des airs avec instruments co-solistes (dits « obligés »).

Cecilia Bartoli renouvelle encore et toujours l’exploit des sons indicibles et inouïs, presque soupirés, jusqu’à de gutturaux graves superbement amenés. Les nuances se révèlent comme des mots qui s’écrivent peu à peu sur une page ondulée et satinée. Elle met au point un vocabulaire lyrique à l’orée de l’abstrait pour frapper son public d’émerveillement. Dans le tube « Lascia la spina cogli la rosa » de Haendel, l’infime tutoie la grandeur. Cappella Gabetta y étire joliment les phrases en forme d’espoir, mais ne réussit pas à fusionner pleinement avec la chanteuse par manque de souplesse et de tendresse. Les nuances vertigineuses d’« O placido il mare », extrait de Siroe, re di Persia d’Hermann Raupach servent l’agilité technique de la Bartoli, qui traîne un peu toutefois ; les décalages de tempo et des cors peu aguerris viendront gâcher le bal.

Sol Gabetta, à armes baroques égales, joue sans pique et tricote bariolages et arpèges au rythme des vocalises de sa partenaire, sauf dans le 10e concerto de Boccherini en ré majeur, qu’elle interprète bien sûr sans la mezzo. Elle ose la fureur, la rage et même certains glissendi subversifs et salutaires. Ses vitesses d’archet l’amènent à un jeu pop et théâtral, qui sert divinement la partition. La star du violoncelle sait doser ses vibratos en fonction de ses prises de parole, ou de l’économie qu’en fait Cappella Gabetta.

Les deux talents se rencontrent au sommet dans un extrait de l’Ode pour le jour de sainte Cécile, de Haendel. À partir d’un texte célébrant la force de la musique, elles subliment une dimension chambriste, teintée de complicité et de dialogue. Les cimes sont atteintes à l’aria accademica finale de Boccherini, qui propose à chacune de vrais moments de gloire. Chez Caldara, Albinoni et Gabrielli, Cecilia et Sol jouent des coudes sans se heurter pour faire découvrir un patrimoine musical impérial moins connu, mais tout aussi soigné. L’instrument chante et la voix joue dans un même souffle et dans une temporalité partagée. Cependant, cette mécanique (trop ?) bien huilée, à grand renfort de camaraderie mutine semi-complaisante, prive certains instants de magie et d’émotion.

Cappella Gabetta excelle dans l’accompagnement des pièces solistes, mais peine à trouver un équilibre sonore idéal dans l’ouverture d’Il Circo riconosciuto (Hasse) et dans la Danse des furies, extraite de l’Orphée et Eurydice de Gluck, malgré une énergie indéniable (sans doute à cause de l’acoustique de la Grande salle Pierre Boulez, difficile à appréhender).

Le zèle côté lumières (l’extinction des feux avant même que l’orchestre n’ait terminé), un son parfois trop étouffé de la chanteuse (dans le Gabrielli, notamment), un dernier bis (le quatrième !) bâclé et une mise en scène un peu tape-à-l’œil des deux artistes ne trahiront pas complètement notre plaisir.

Qui remporte donc la palme ? Les deux, pardi !

Thibault Vicq

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