Cecilia Bartoli et Franco Fagioli « chambrisent » la Philharmonie de Paris

Xl_dscf7615 © Thibault Vicq

À la Philharmonie de Paris, la Grande salle Pierre Boulez a été évidemment conçue pour accueillir les œuvres monumentales, mais il arrive qu’un « simple » récital de piano ou de musique de chambre atteigne des sommets d’intimité. Cecilia Bartoli a son créneau réservé peu ou prou à la même date depuis quelques années, notamment avec Les Musiciens du Prince-Monaco et leur chef principal Gianluca Capuano. Elle revenait lundi en compagnie du contre-ténor Franco Fagioli dans le Stabat Mater de Pergolèse, dont les dimensions à fleur de cœur sont ici déployées en mirifiques sonorités.

La mezzo-soprano entre dans la résonance des cordes, la continuité du son est fantastique, les articulations rythmiques témoignent d’une richesse absolue. Elle montre une science innée de la gravité, dans tous les sens du terme : les mots pèsent en impact expressif, tandis que les phrases se trouvent portées par un élan naturel les menant aux suivantes. Le contre-ténor a l’émission directe et fond sa matière vocale avec les instrumentistes. Chaque intervention se mue en scène de théâtre, effets vocaux et expressivité habitée à l’appui, et construit un chemin pour que se fraient ses lignes tendres et bouleversantes. Les deux chanteurs forment ensemble des superpositions d’un seul tenant, en mille-feuilles cumulatifs à la tierce, à la sixte, à la seconde. Le flot du duo amène son flux impressionnant de nuances, apprivoisant l’acoustique de la salle. Les deux stars relèvent les défis main dans la main, dépassent les obstacles dans le Fac ut ardeat cor meum cavalier ou étendent une dignité d’un minimalisme vibrant dans le Quando corpus morietur. Si l’horizontalité de Franco Fagioli possède moins de définition que la verticalité de Cecilia Bartoli dans le neuvième numéro, et si la mezzo s’avère légèrement basse dans la partie conclusive, ce Stabat Mater installe durablement sa patte vocale dans les frontières mentalement rétrécies de la Grande salle Pierre Boulez.

Le contre-ténor cultive aussi l’égalité juste de chaque note et la déclamation drapée de soie dans le Nisi Dominus de Vivaldi, en début de soirée. Il prend le soin de fournir du relief à la longueur, au-delà de la seule brillance. Il navigue en légato rassurant sur l’acqua alta du Cum dederit, donne une profonde raison d’être au Beatus vir, ou crée une émulation totale dans l’Amen final. Avec Cecilia Bartoli, What passion cannot music raise and quell (Haendel) fait de la passion de la musique un manifeste du sourire et du regard communiquant, une magie blanche contagieuse. La proximité avec le public n’en est que plus évidente, malgré un violoncelle solo en petite forme sur ce numéro.

Deux gosiers d’or pur ne peuvent partager leurs sortilèges sans un orchestre qui leur propose l’assise et l’élan. Gianluca Capuano dirige Les Musiciens du Prince-Monaco de toute son âme. Rutilance métallique ou gouttelettes d’écho n’omettent nullement la beauté immatérielle des harmonies. Le vibrato intermittent manie les textures et l’adhérence générale offre un panorama très large. L’effectif monégasque peut passer de l’espièglerie de Mendelssohn à la roche granuleuse polie par le vent en un rien de temps, d’un rythme ternaire dansant au son des talons à la spatialisation hypnotique de piano sidérants. Dans le Concerto pour hautbois de Marcello, les cordes tissent un manteau pour tous les climats, avant de transporter le soliste, au timbre fumé et rond, sur un tapis volant. La dureté toute relative sur Vivaldi gagne en épaisseur et en subtilité jusqu’au grisant recueillement de Pergolèse.

Les applaudissements ont du mal à se contenir devant cette palette vocale et instrumentale. Petite formation, grandes émotions. Répertoire anti-spectaculaire, expérience de choix.

Thibault Vicq
(Paris, 29 novmbre 2021)

Crédit photo © Thibault Vicq 

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