À l’Athénée, Pelléas et Mélisande à pile ou face

Xl_pelleas_et_melisande_14-01-22___guillaume-castelot-20 © Guillaume Castelot

Cap’ ou pas cap’ ? La Fondation Royaumont, elle, a su faire sillonner depuis 2022 une production de Pelléas et Mélisande entre le Var, l’Île-de-France, Orléans, Tarbes, Vichy et Clermont-Ferrand, avec quelques lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont, jusqu’à des représentations conclusives à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, où nous avons pu la découvrir. Pour voyager plus léger, la pioche a été celle de la réduction orchestrale au piano, signée par le compositeur en retouches successives jusqu’en 1907.

Nous mentirions si nous disions que le seul clavier procure autant de sensations qu’une fosse entière sur ce patrimoine national, mais Martin Surot cherche plutôt la fluidité. C’est avec une sorte de « neutralité » homogène (qui n’empêche cependant pas à l’émotion d’affleurer) qu’il donne une substance aux voix. Les deux mains réunissent et collectivisent en une imagination symboliste qui installe durablement la phrase. Le pianiste se concentre sur l’adhérence du fond et brode sur la forme. Sa présence sonore tangible trace un chemin, un cadre, où s’intègrent toute la séduction harmonique, sans se muer en variable envahissante. Chaque scène forme un diorama cocooning, dont nous nous imprégnons peu à peu, avec ses parois opaques et son action évolutive, pour une « expérience Pelléas » intimiste et sujette à réflexion.


Pelléas et Mélisande - Athénée Théâtre Louis-Jouvet (2024) (c) Guillaume Castelot

Quid pour Moshe Leiser et Patrice Caurier de repenser le chef-d’œuvre de Debussy deux décennies après leur version grand format au Grand Théâtre de Genève ? Dans des lumières monochromes paresseuses et un « décor » vraiment vilain – une paroi en bois, et une porte –, les trois premiers actes font la part belle à une direction d’acteurs qui va à l’essentiel et touche juste dans sa naïveté. Point de grandes idées non plus, l’efficacité faisant foi, excepté pour le personnage d’Yniold, qui méritait sûrement mieux qu’un statut d’ado mal dans sa peau. Les deux metteurs en scène ne se sont en revanche pas foulés sur l’intégration du piano au drame, et encore moins sur le fil rouge des deux derniers actes, festival neurasthénique de banalités. Pas complètement cap’, donc, de revenir à des dimensions à taille humaine.

Point de yo-yo pour Halidou Nombre, qui n’a clairement pas les moyens de Golaud. Nous pensions initialement que son phrasé morcelé, semi-impulsif, semi-agressif, pourra sculpter favorablement le personnage ; les limites vocales, en particulier dans les fins de souffle et dans un vibrato tendu, lui seront majoritairement fatales, jusqu’à un acte V particulièrement éprouvant. En passant outre la prosodie, il fait barrage à l’émotion. Si Pelléas est peut-être un rôle un peu trop aigu pour Jean-Christophe Lanièce, ce dernier le défend avec netteté et discernement. En dépit de quelques brusques changements de registre contournant l’écoulement de la ligne, il fait bon voir et entendre Pelléas s’affirmer, conscient de ses actes et de sa pensée. Son chant circonstanciel – filet puis nectar, cercle puis triangle – lui permet de s’approprier le volume et l’espace sans se reposer sur ses lauriers des scènes précédentes. Marthe Davost prête à Mélisande une vocalité joueuse et habile, qui ne prend jamais le chemin le plus simple pour exprimer ses pensées. Elle colore chaque inflexion, illustre très clairement l’insécurité du personnage, et, plus généralement, personnifie le mystère des mots. Dès la scène de la tour, la voix se déploie en une nouvelle féminité pour ne plus cesser – comme pour Pelléas – de tracer son chemin. Marie-Laure Garnier campe une Geneviève touchée par la grâce, et par laquelle syllabes et notes atteignent une osmose de flux. L’Arkel de Cyril Costanzo forme une boule de feu en pleine expansion, traversée par une continuité délicate du cap musical, de la même façon que Cécile Madelin reste fidèle à la constance d’Yniold.

La production ne tient aucunement du parcours aléatoire, bien que ses hauts incontestables et ses bas ne fassent finalement pas pencher la pièce du côté pile ou du côté face.

Thibault Vicq
(Paris, 15 février 2024)

Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy et Maurice Maeterlinck, à l’Athénée – Théâtre Louis-Juvet (Paris 9e) jusqu’au 25 février 2024

N.B. : le pianiste des 21, 24 et 25 février sera Jean-Paul Pruna

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading