Le Barbier de Séville au Metropolitan Opera

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Il semble qu’en matière de mise en scène à l’opéra, on vive entre deux époques : l’une, presque révolue, reposant sur cette tendance au statique qui laissait le public, mais surtout le chanteur, se concentrer sur la voix ; mais aussi l’autre, plus moderne, dans laquelle un ténor se doit de pouvoir sortir un contre-ut en virevoltant sur lui-même et jouant de sa fière figure, l’amour transi ou la joie absolue – si vous me permettez d’exagérer un peu.
Bartlett Sher, le metteur en scène de ce Barbier de Séville au Metropolitan Opera, est un homme qui veut manifestement tout ignorer de la tradition de l’immobilisme lyrique. M. Sher est aussi un homme très chanceux : pour ce Barbier, le Met avait réuni pour lui une distribution capable de relever le défi extraordinaire que sa direction impose. Un simple exemple, sous forme de liste : lors de l’air de Figaro, le pauvre baryton dirigé par Sher doit descendre du toit de sa roulotte d’environ trois mètres de haut à l’aide d’une seule corde ; se faire toucher l’intégralité du corps par trois veuves – oui, l’intégralité – ; retoucher deux perruques ; coiffer une veuve ; signer un bon nombre de documents ; arracher une dent à une des veuves ; porter une chaise ; courir à droite à gauche avec ladite chaise... et la liste serait trop longue – le tout en chantant l’un des airs les plus exigeants du répertoire. Depuis la création de ce spectacle en 2006, peu de barytons ont réussi parfaitement l’exercice.

Ce n’est pas le cas de Christopher Maltman, fort heureusement très athlétique. Non seulement il parvient à compléter l’incroyable liste de Bartlett Sher, mais le fait surtout tout en chantant un « Largo al factotum » retentissant, proposant une palette de nuances exceptionnelles et parfaitement mesurées. Le reste de sa performance le confirmait : Christopher Maltman est un baryton d’exception et s’avère être l’un des plus puissants du circuit vocalement. Naturellement, en contrepartie, sa voix manque parfois d’agilité pour exécuter la partition rossinienne ; mais qu’importe, le spectacle était superbe.
Lawrence Brownlee s’est fait, lui, une spécialité du chant rossinien et chante Almaviva avec une facilité déconcertante, ajoutant de-ci de-là(et sourire aux lèvres) de petites cadences et des aigus, comme si la partition originale était trop facile pour lui. Son jeu de scène était certes un peu en retrait par rapport à ses partenaires au charisme il est vrai exceptionnel : on le trouvait dépassé, par moment, par le rythme imposé par la mise en scène. De même, on ne comprend pas exactement pourquoi Brownlee chantait « Ecco, ridente » dos à la fenêtre de Rosina et face au public. Peut-être peut-on mettre ces maladresses sur le compte de la générosité mutine de Brownlee pour son auditoire, refusant ainsi de se plier aux exigences de la mise en scène – pour le prouver, il est visiblement ravi de donner à son public un si bémol brillant et interminable à la fin de son « Ah il più lieto, il più felice » et remporte ainsi une ovation méritée.
Isabel Leonard, jeune soprano originaire de New York peint une Rosina haute en couleurs, très mobile et énergique. Les grands airs sont parfaitement exécutés, le comique de scène maitrisé : on tombe très vite sous le charme. Maurizio Muraro, spécialiste du rôle, est hilarant en Dr. Bartolo, tout comme Paata Burchuladze en Don Basilio. Les deux parviennent à former un duo évocateur et marquant. Michele Mariotti est excellent dans la fosse. Il réussit à tirer le maximum de l’orchestre du Metropolitan Opera, tout en étant très attentif aux chanteurs qui ne se trouvaient ainsi jamais dépassés par l’orchestre. Un travail précis sur les nuances avait visiblement été fait pendant les répétitions. Cette exécution du Barbier de Séville permettait donc de visiter des subtilités de la partition que l’on n’a pas toujours la chance d’entendre.

La mise en scène de Bartlett Sher compense son intensité scénique par des décors assez sobres : une douzaine de portes sur roulettes modèlent successivement les rues de Séville et les appartements de Bartolo. Le dispositif, qui aura eu le mérite de faire économiser au Met quelques millions de dollars sur de fastueux décors, fonctionne plutôt bien. On regrettera cependant dans cette mise en scène, un érotisme gratuit et constant, d’assez mauvais goût (certains diront vulgaire et cela reste, soit dit en passant, un tic chez Bartlett Sher), qui suscite néanmoins des rires d’une bonne partie de la salle mais dont on peut questionner l’utilité.

Au final, c’est un triomphe bien mérité pour cette distribution et pour cette production. Cette dernière, bien qu’imparfaite, semble néanmoins plaire particulièrement au public non initié. Elle rend effectivement le spectacle plus accessible en permettant au nouveau public de se raccrocher à des notions familières, comme le comique et le jeu d’acteur. Au moment de quitter la salle, ma jeune voisine s’exclame d’ailleurs, encore hilare : « C’était mon premier opéra, mais je reviendrai ». La quête de toute maison d’opéra aujourd’hui, le « renouveau de l’audience » était ce soir-là remplie.

Thibault Courtois

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