Ernani au Metropolitan Opera de New York

Xl_domingomeadernani © DR

Le départ à la retraite dans le milieu de l’opéra est un sujet délicat, surtout lorsqu’il s’agit de celui d’une légende comme Plácido Domingo. Alors qu’il est commun dans les stades d’entendre des supporters frustrés blâmer la défaite de leurs idoles de jadis par un « trop vieux ! », on n’avait pas encore vu semblables scansions dans une maison d’opéra. Jusqu’à la semaine dernière.
C’est maintenant chose faite : Anthony Tommasini, le critique musique classique du New York Times a jugé la semaine dernière dans sa critique de la reprise d’Ernani au Metropolitan Opera qu’il était temps pour Plácido Domingo de prendre sa retraite. Evidemment, l’article a fait l’effet d’une bombe dans le petit milieu de l’opéra : à ma connaissance, c’est la première fois que la légitimité du ténor / baryton était ainsi soulevée depuis des décennies. À la décharge de Tommasini, Plácido Domingo a 74 ans et la question de sa retraite, sans doute, peut-elle commencer à se poser. Admettons aussi que Plácido ne sonne plus tout à fait comme dans cet enregistrement du Trouvère de 1970 qui figure sans doute en bonne place dans votre collection, que vous avez forcément déjà entendu ou que vous devriez vous procurer d’urgence. Cela dit, son chant a-t-il décliné depuis l’année dernière ? La qualité de la performance de Domingo dans Ernani suffit-elle à justifier une demande de retrait définitif des planches des plus grandes maisons d’opéra du monde ?
Dans cette reprise d’Ernani, deux des chanteurs principaux, Angela Meade et Francesco Meli, sont à, quelques années près, plus jeunes que Plácido Domingo de presque quatre décennies. En matière de voix et de présence scénique, cette différence d’âge n’était pas tout à fait évidente lors de la représentation. Domingo, ténor qui depuis quelques années a commencé à endosser des rôles de barytons, est parfois en difficulté relative dans le bas registre du rôle de Don Carlo – comme on pouvait s’y attendre. Cependant, plus la partition s’envole vers les aigus, et plus le timbre si centré et résonant de Domingo apparaît. Car oui, ce timbre incomparable et si caractéristique qui a ému des générations d’amateurs d’opéra, Plácido a su le conserver : il est intact. Et parce qu’on l’a tant entendu, l’entendre en direct aura toujours quelque-chose de magique, de nostalgique. À cela s’ajoute cette générosité exceptionnelle que Domingo offre sur scène : son jeu et son investissement ce soir-là ont paru transporter le reste de la distribution. Bien sûr, sa voix « hybride » n’est pas celle d’un baryton verdien typique. Mais si l’on met de côté le nom, l’âge et l’illustre carrière, il ne fait nul doute que le Don Carlo de Domingo mérite tout à fait de figurer sur les planches du Metropolitan Opera, et en vérité, c’est tout ce qui compte.

Don Carlo roi d’Espagne, séduit la belle Elvira alors que Don Silva, duc, tente de la contraindre à un mariage forcé. Elvira aime Ernani qui l’aime en retour. Ce dernier, noble en exil et devenu bandit, espère l’enlever avec l’aide de sa bande. Nombreuses péripéties à suivre.
Vocalement, le reste de la distribution est proche de la perfection. Francesco Meli, à seulement 35 ans, se trouvait un peu restreint dans son interprétation scénique mais chante impeccablement du difficile « Mercè, diletti amici » au début de l’œuvre et jusqu’à sa conclusion. Sa voix, aussi étincelante que puissante, est tout à fait adaptée à l’écriture de Verdi. Angela Meade a déjà chanté le rôle d’Elvira au Met en 2012. Elle apporte solidité et constance vocale à son rôle pour présenter une Elvira déterminée. Dmitry Belosselskyi est lui aussi excellent en Silva. Puissant vocalement, il sait appréhender les différentes phases du rôle confortablement.

Située au cœur de la cour espagnole et à l’orée du XVIème siècle, la mise en scène de Pier Luigi Samaritani qui date de 1983 est aussi grandiose et traditionnelle que ce que l’on peut attendre des productions datant des années quatre-vingt du Metropolitan Opera. Les décors, immenses et différents pour chacun des quatre actes, suscitent des exclamations dans le public à chaque lever de rideau. La direction d’acteurs reste très statique : les chanteurs n’ont pas grand-chose d’autre à faire que de chanter.
Aujourd’hui, cette production semble provenir d’une autre ère et il est quelque peu étrange d’y voir s’y démener de si jeunes chanteurs (à l’exception évidemment de Domingo) qui paraissent imiter leurs prédécesseurs dans un vieil écrin. Encore une fois, nostalgie.

Les chefs d’orchestre sont généralement davantage respectés que les chanteurs. Personne alors n’est prêt, dans ce contexte, à réclamer le départ en retraite de James Levine qui compte désormais presque 45 ans de pupitre au Metropolitan Opera. Ce qu’il a fait d’Ernani qu’iln’avait pas dirigé depuis 1983 –, ce soir-là, était splendide. Il prouve une fois de plus, avec cette autorité et cette aise similaires à celles affichées par Domingo, qu’il est toujours le maître des lieux.

Thibault Courtois
@thibopera

Ernani au Metropolitan Opera de New York, jusqu'au 11 avril 2015

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